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Actualité du 18-06-2015

Vie et éthique, de Bergson à nous

C’est le livre des Actes du colloque organisé les 21-22 novembre 2013 à Yaoundé, par le Cercle Camerounais de Philosophie ( CERCAPHI), en partenariat avec le département de philosophie de la Faculté des Arts, Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Yaoundé I. Ouvrage collectif édité par L’Harmattan Paris, Mai 2015, sous la direction de Njoh Mouelle ; 347 pages

PRESENTATION (DES ACTES DU COLLOQUE)

Après celui des 13-16 novembre 2007 ayant porté sur « la philosophie et les interprétations de la mondialisation en Afrique », Le Cercle Camerounais de Philosophie (CERCAPHI) en association avec le Département de philosophie de la Faculté des Arts, Lettres et Sciences Humaines (FALSH) de l’Université de Yaoundé I, a organisé son deuxième colloque international les 21 et 22 novembre 2013 sur le thème « Vie et éthique, de Bergson à nous ». Comme en 2007, les participants sont venus de plusieurs pays européens (France, Suisse, Belgique), d’Afrique (Niger, Gabon, Côte d’Ivoire, Congo Brazzaville, Congo Démocratique, Bénin) et des États-Unis.

Ainsi que cela avait été précisé dans l’argumentaire, il ne s’agissait pas d’un colloque consacré exclusivement à l’auteur de L’Évolution créatrice et des Deux sources de la morale et de la religion, ce qui a été, non seulement bien accepté mais également servi de stimulant pour bon nombre de participants dont les communications composent la quatrième partie et parmi lesquels figurent un juriste et un économiste.

Le statut métaphysique donné par Bergson au concept d’ « Élan vital » peut-il être invoqué à l’appui du mouvement et du souci récent des écologistes et des environnementalistes au sujet des menaces qui pèseraient sur l’ensemble de la planète ? Le souci des écologistes pour les écosystèmes, les biosphères et les ressources naturelles se ramènerait-il plutôt à une préoccupation de simple maîtrise économique des dites ressources naturelles ? Voilà une des questions que soulevait l’argumentaire et qui n’aurait pas trouvé un écho important parmi les participants, peut-être à cause d’une insuffisante théorisation philosophique des positions écologistes par les protagonistes de l’écologie ?

Quatre sous-thèmes avaient été proposés aux participants. Le premier était consacré aux théories générales sur la vie ; le second était conçu pour retenir l’attention des spécialistes de Bergson et s’intitulait « Vie et éthique chez Bergson ». La question des mères porteuses, du clonage, de gestation de l’embryon humain par des espèces non-humaines, d’organismes génétiquement modifiés (OGM) étaient inscrites dans le sous-thème III intitulé « Science, économie, vie et éthique ». Un quatrième sous-thème, « Éthique universelle, éthique commerciale, éthique de la recherche scientifique » devait recevoir des communications ouvrant sur des questions de bioéthique en général et notamment sur la question qui a préoccupé Gaston Bachelard, à savoir celle de frontière épistémologique.

Nous relevons le fait que si, au vu du grand nombre de communications reçues et présentées, l’argumentaire du colloque avait accroché l’attention de plus d’un, pratiquement aucun participant ne s’est intéressé au débat doctrinal sur les diverses théories et conceptions de la Vie que proposait le premier sous-thème. Compte tenu des textes reçus et présentés, il nous aura fallu organiser autrement les Actes du colloque. Les quatre parties s’y retrouvent mais définies différemment. La première partie porte sur « Bergsonisme et éthique » ; la deuxième sur « La vie pratique et la théorie bergsonienne de la vie » ; la troisième sur « Les approches comparatives avec ou à partir du bergsonisme », tandis que la quatrième partie porte sur des « Questionnements variés sur la vie et l’éthique ».

Que de nombreux bergsoniens aient effectué le déplacement de Yaoundé en novembre 2013 fut un événement heureux et il nous fait grand plaisir d’avoir à souligner une orientation quasi majoritaire de l’intérêt que nombre d’entre eux ont porté sur des aspects subtils dans l’interprétation concrète de la pensée bergsonienne. En effet, un certain nombre de communications qui composent les deux premières parties du présent volume se caractérisent par des approches aussi originales que singulières et que ponctuelles pour ne pas dire pointues. Des réflexions qui invitent à une reprise de la pensée de Bergson et qui se présentent comme des sortes de chemins de créativité se donnant l’allure d’un « prolongement en renouvellement » de la pensée de Bergson.

Dans le registre de ces problématisations nouvelles que contiennent les deux premières parties de l’ouvrage , la curiosité du lecteur ne manquera pas de le pousser à chercher à découvrir les contenus des textes enveloppés par des intitulés tels que ceux de Eric Fiat : « D’une dignité de la vie animale » dans lequel l’auteur fait observer que « oui, tout se passe comme si dans une certaine tradition philosophique, on pensait impossible de dire l’éminente dignité de la vie humaine et même sa sacralité, sans dire l’indignité de la vie animale. Or, ajoute-t-il, jamais Bergson ne fait ce geste sacrificiel ». De même, Arnaud Bouaniche, dans son texte « L’invention morale, de Bergson à Simondon », attire l’attention sur « un infime glissement terminologique qu’on trouve sous la plume de Bergson, dans son dernier livre, Les deux sources de la morale et de la religion, si infime d’ailleurs, précise-t-il, qu’il pourrait passer inaperçu à la lecture. ». En effet, écrit Arnaud Bouaniche, « lorsqu’il s’agit pour lui de qualifier la transformation morale de l’humanité opérée par les grands hommes de bien dans l’Histoire, Bergson évoque tantôt « une création », tantôt une « invention ». Une clarification digne d’intérêt s’ensuit. Dans le même registre se classe la communication de Fréderic Worms, lue en son absence, des circonstances imprévues ne lui ayant pas permis d’être physiquement présent à Yaoundé ; « Le temps et le soin, entre la vie et la mort » est le titre de cette communication dans laquelle l’auteur écrit que « L’épreuve du soin révèle en effet, …ce qui est masqué dans la vie ordinaire. Mais ce qu’elle nous révèle ainsi, ce n’est pas seulement (comme toute la pensée de Bergson y a bien sûr insisté) le fait que le temps ou plutôt la durée n’est pas un cadre formel et vide, n’est pas de l’espace, mais constitue la réalité même de notre expérience ». Isabelle Blondiaux présente la même préoccupation dans sa communication à l’intitulé encore plus déroutant : « La belle au bois dormant à la lumière de Bergson et Lacan ». Et Didier Deleule invite à réfléchir au « Comment penser le passage du clos à l’ouvert ». Mais dans cette même mouvance, comment ne pas mentionner le texte de Nadia Yala Kisukidi sur « L’étranger, l’ennemi, la séparation. Religion et politique chez Bergson ». Cet intitulé à lui seul incite à faire le détour!

Les bergsoniens ont donc fait sentir leur présence, comme il se devait, et ont mis l’accent, non uniquement sur le prolongement du bergsonisme, ainsi que le laisse deviner les intitulés des communications évoqués ci-dessus mais également sur une lecture bergsonienne de certains aspects de la vie pratique. C’est notamment le cas du texte de Marie-José Manifacier portant sur « Les procréations médicalement assistées à l’épreuve de la durée ». Elle reprend le concept de la durée pour analyser l’approche fragmentée inhérente à ces techniques qui « découpent, segmentent, séparent avant de pouvoir procéder aux opérations de réunification ». « Dès lors, se demande-t-elle, comment réintroduire le lien, la relation, des données indispensables à toute vie humaine, tissée dans la trame intergénérationnelle et la cité des hommes, trame toujours continuée grâce au Logos (parole et action) ? Peut-on et doit-on permettre, autoriser, légaliser toutes ces techniques au seul prétexte qu’elles sont possibles, au risque de favoriser une marchandisation du corps humain (déjà effective dans certains pays) ? ».

Seuls trois textes des deux premières parties se sont penché sur des questions traditionnelles de compréhension et d’interprétation de la doctrine bergsonienne en tant que telle : la conférence inaugurale présentée par nous-même et qui a porté sur « L’Élan vital, l’évolution, Dieu et la question éthique chez Henri Bergson », la communication de Dominique Folscheid qui a particulièrement interrogé « L’éthique des deux Sources », en rappelant notamment que « parler de « source » implique de creuser par-delà le fondement, en profondeur et en amont », et la communication d’Emile Kenmogne, « L’idée de vie comme articulation de l’ontologie à l’éthique » ; tout en affirmant que « la pensée pour la vie est originellement moins affichée chez Bergson que la pensée de la vie », « deux orientations qui permettent d’établir que l’ontologie et l’éthique sont indissolublement articulées par l’idée de vie », Emile Kenmogne se demande si « Bergson lui-même aurait exprimé une préoccupation pour une déduction de l’éthique de l’idée de vie » ?.. Quant à la conférence inaugurale, parmi les interrogations qui se présentent comme de réelles difficultés, il y est rappelé l’affirmation faite par Bergson et selon laquelle « en dernière analyse l’homme serait la raison d’être de l’organisation entière de la vie sur notre planète » ; une affirmation par laquelle l’homme se verrait indirectement attribuer la mission de « gardien de la Vie », y compris donc de la vie de tous les vivants de tous les règnes ( minéral, végétal et animal), pour ne pas dire de l’Élan vital, pendant que se verrait en même temps relativisée paradoxalement la doctrine contenue dans Les deux sources de la morale et de la religion ?

Dans la troisième partie consacrée aux « Approches comparatives », deux contributeurs se seront tous deux arrêtés à Hans Jonas : si Pius Ondoua a présenté une communication sur « Nature et éthique chez Hans Jonas », Jacques Chatue a engagé la comparaison dans sa « Lecture comparée de l’Évolution créatrice d’Henri Bergson et du « Phénomène de la vie » de Hans Jonas.

La quatrième partie consacrée aux « Questionnements variés sur la vie et l’éthique » regroupe des textes s’étant plus particulièrement intéressé à la bioéthique et en particulier à la biologie médicale. C’est notamment le cas du texte de Marie-José Manifacier sur « Les procréations médicalement assistées à l’épreuve de la durée », dont il a déjà été question plus haut, celui de Bertin Nguefack sur « La biologie médicale et le défi de l’humain à l’heure du constructivisme postmoderne » et qui s’inquiète de ce que « L’ingénierie génétique…. avec l'outil d'investigation et d'analyse du génome qu'elle est amenée à réaliser pour son fonctionnement, …conduise à une capacité de tri du vivant et de sélection plus poussée, à une réduction de la diversité des espèces et des génotypes, et à un risque de prédétermination sociale et d'eugénisme pour l'humanité ». C’est dans le même ordre d’idées que le texte de Zue Nguema aura retenu notre attention, s’agissant de la question de « La brevetabilité du produit des recherches sur le patrimoine génétique humain » et sur laquelle le philosophe ne peut se prononcer que négativement.

De même lira-t-on «L’État des lieux, paradoxes et alternatives critiques africaines sur la bioéthique » de Charles Romain Mbele qui juge que « la réflexion bioéthique locale ( africaine) se méfie avec raison de l’utilitarisme et du darwinisme social qui veulent, depuis les années 80, créer un marché du travail par la sanction naturelle de la faim ».

Nous pouvons dire, pour conclure cette brève présentation, que finalement, même si les bergsoniens ont été les plus présents et ont mis l’accent sur le renouvellement dans le prolongement du bergsonisme, la sollicitation exprimée dans l’argumentaire de ce colloque et qui invitait à voir s’il pouvait exister une lecture de l’écologisme contemporain à partir de la pensée de Bergson d’une part et, d’autre part à réfléchir sur le traitement qui est fait de la vie portée par les vivants-hommes et à travers les manipulations génétiques dans les possibilités de clonage de toutes sortes, ont trouvé quelque écho dans les communications de certains participants, même si tous n’ont pas chaque fois cherché à établir la relation, positive ou négative, avec la pensée d’Henri Bergson./

Ebénézer NJOH MOUELLE

Président du Cercle Camerounais de Philosophie






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