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Actualité du 19-11-2008

14 Novembre 2008 Au Club philo-Psycho-Socio du département de philosophie de l'université de Yaoundé 1

Le Club philo-Psycho-Socio a reçu la visite d'un Professeur venu des Etats Unis, Carl M. Dibble, PhD venu leur exposer une question fort pertinente intitulée « BABEL IN THE POLIS ».

L’exposé de Carl Dibble soulignait le grand décalage qui existe aujourd’hui entre les termes utilisés dans le discours politique et la réalité conceptuelle à laquelle, ils sont supposés renvoyer.

Le Professeur Dibble a examiné en particulier le cas des termes « politique, communauté, pouvoir, liberté, démocratie, légitimité… ». Il a relevé que ces termes, aussi bien dans le contexte culturel qui les a forgés qu’en Afrique connaissent le même sort en obscurcissement du discours au lieu de l’inverse. Essayant de se mettre à la place des africains en particulier, il lui est arrivé d’exprimer ce que tout africain devrait pouvoir exprimer sous forme de colère et de contrariété face à l’influence qui continue de leur être imposée par l’occident qui lui-même se trouve en pleine crise et doutant de ses bases.

Le Pr Njoh Mouelle ayant été invité à servir de contradicteur au conférencier a eu à présenter les observations dont voici le texte.


La question soulevée par le professeur Carl Dibble est d’une indéniable pertinence. La terminologie utilisée par les divers protagonistes de la vie politique ne semble pas correspondre adéquatement aux contextes sociaux qui l’ont produite. Si le professeur Dibble pense davantage à la situation des pays africains, il n’en reste pas moins vrai que le décalage décrit s’observe également dans les vieilles démocraties d’Occident en général.

Le décalage est parfois tel qu’il entretient et nourrit les dialogues de sourds qui se poursuivent en parfaite connaissance de cause quand ça se passe entre gens avertis, les intellectuels eux-mêmes, chercheurs ou acteurs de la vie politique. Ce qui me semble plus préoccupant concerne la confusion que cet état de choses créé dans l’esprit des populations.

En effet, si les sourds des dialogues de sourds savent où ils en sont et ne sont pas dans l’ignorance, tel n’est point le cas quand il s’agit des populations, c’est-à-dire des citoyens électeurs, contribuables, ceux-là mêmes qui sont supposés constituer l’identité de ce que Rousseau appelle le « souverain » et très souvent traités comme « sujets », même si c’est de manière plus subtile par le biais de la démagogie que ne l’était le recours à l’autoritarisme et au despotisme des régimes féodaux.

Si nous considérons le terme de politique lui-même et sur lequel le professeur Dibble s’est arrêté, nous retenons que selon lui quand on prononce le mot politique on pense davantage à l’exploitation du bien commun à des fins personnelles alors que le sens initial et noble que les grecs donnaient à ce vocable désignait la politique comme l’instance préoccupée par la définition du bien commun et la désignation ou le choix de ceux qui étaient les mieux à même de gérer ce bien commun. En fait ce glissement est masqué par les acteurs de la vie politique qui ne manquent pas l’occasion, dans leurs discours officiels, de faire référence à l’intérêt général et au bien commun. En fait la plupart des acteurs de la vie politique jouent sur les deux registres et en parfaite démagogie, c’est-à-dire en parfaite duplicité.

On pourrait penser que dans les pays de vieille démocratie les populations sont plus averties et ne se laissent pas duper. Cela n’est défendable que partiellement tant il est vrai que c’est sur la base des discours et par conséquent des mots et des contenus conceptuels que ces mots sont supposés véhiculer qu’ils effectuent leurs choix des dirigeants et départagent les concurrents.

Qu’en est-il dans le contexte africain qui est le nôtre ? Le mot politique est-il compris, ici aussi, comme signifiant l’exploitation du bien commun à des fins personnelles ? D’une manière très générale, ce qu’il en est au niveau des acteurs qui seraient des intellectuels n’est pas très différent de ce qui s’observe chez des élites des vieilles démocraties d’Occident, à savoir la pleine connaissance du décalage en parfaite duplicité. Par contre dans l’esprit des populations, des militants des partis politiques et autres électeurs, la politique serait une occasion d’emploi, une activité qui offre la possibilité de gagner son pain quotidien. C’est bien pour cette raison qu’en 1992 par exemple, quand nous nous sommes présenté aux législatives alors que nous étions dans le cabinet du président de la république en qualité de conseiller et que nous assumions en même temps la charge de secrétaire général du parti au pouvoir, beaucoup ont trouvé que nous avions manqué l’occasion de montrer un esprit partageux en laissant se faire investir un autre militant du parti dans cette circonscription. Autrement dit, s’engager en politique et en particulier solliciter un mandat populaire correspond dans l’esprit de plus d’un à une démarche de chercheur d’emploi. On est bien loin de la conception noble de la politique telle que conçue dans la Grèce antique.

J’ai entendu récemment un membre de l’Ong Transparency International définir la corruption comme étant le fait d’utiliser un bien commun ou des biens communs à des fins personnelles. Et j’ai bien l’impression que le professeur Dibble présente la politique dans sa dérive actuelle comme n’étant pas plus ou moins autre chose que de la corruption, puisqu’elle est « l’exploitation du bien commun à des fins personnelles », non pas seulement en Afrique mais partout dans le monde et par conséquent en Occident aussi.

Je voudrais à présent dire un mot sur le concept de pouvoir. On entre en politique pour conquérir une part de pouvoir, pouvoir local, ou pouvoir au plan national. Ici aussi le glissement relevé par le professeur Dibble est celui qui conduit d’un pouvoir conçu comme la capacité d’actualiser nos potentialités pour le service des autres, à un pouvoir conçu comme la capacité de dominer les autres, d’imposer notre loi aux autres. La première manière de voir est celle qui consiste à sonder et développer ses potentialités en termes d’intelligence, d’endurance et de sagesse afin de bien se mettre au service de la communauté et de contribuer à résoudre les problèmes de la communauté. Ici, le croyant en Dieu demandera, dans ses prières, qu’il lui soit accordé l’intelligence et la sagesse pour régler au mieux des intérêts de ses concitoyens, toutes les situations susceptibles de se présenter au dirigeant qu’il est ou qu’il veut être. La seconde manière de voir qui tourne le dos à la première en se mettant soi-même en tant qu’individu égoïstement préoccupé de ses propres intérêts est celle d’un pouvoir conçu comme la garantie du moyen de dominer les autres en exploitant éventuellement leur force de travail, leur intelligence, leur temps, leur argent à des fins personnelles ou au profit des groupes d’intérêts.

Jusque dans quelles limites le fait de désigner tel ou tel chef d’Etat comme étant l’homme fort de son pays est-il susceptible d’être bien compris par tous et ne renforcerait pas plutôt cette seconde manière corrompue de considérer le pouvoir politique ? Le journalisme des pays démocratiques qui utilise cette expression sait à quoi s’en tenir et jusqu’où il ne faut pas aller trop loin. Mais est-on sûr que cette façon de présenter les numéros I des Etats ne contribue pas plutôt à la dérive du sens ? Un humoriste français disait un jour que s’il était à la place du président de la république, il gagnerait tous les jours le gros lot à la loterie nationale. Autrement dit le phantasme d’un pouvoir absolu et arbitraire hante les esprits et ne se trouve encadré et limité que par la loi qui s’impose à tout le monde de la même manière.

Comment s’assurer que dans un contexte post-colonial qui voit cohabiter des chefferies traditionnelles et la démocratie pluraliste, les populations perçoivent à travers le terme de pouvoir autre chose que ce que l’expérience quotidienne continue de leur faire vivre à des degrés divers, à savoir celle de la personnalisation du pouvoir telle que Mugabe en a fait la démonstration au Zimbabwe récemment ? L’héritage de la colonie en matière de transfert de l’image donnée du pouvoir politique est celui d’un pouvoir perçu comme droit de commander sans partage; c’est le pouvoir du donneur d’ordres attendant simplement d’être obéi.

La démocratie réussit-elle à tempérer cette déformation dans la conception du pouvoir? Sur la démocratie elle-même il y aurait aussi tant à dire en matière de décalage entre la conception initiale et les expériences vécues !

Mais sans avoir à recommencer un long exposé sur la question, je voudrais me borner à faire observer qu’en déclarant que ce par quoi se définit le régime démocratique c’est moins la règle de la majorité dans la sélection des dirigeants que les idées et les principes qui doivent inspirer l’action des dirigeants, et après avoir affirmé que la terminologie utilisée ne correspond plus à la réalité de la pratique sociale qui a permis de forger cette terminologie et ces concepts il y a des siècles, le professeur Dibble ne serait-il pas en train de laisser entendre que les idées et les principes en questions seraient une production empirique plutôt que rationnelle ?

Je dis cela parce qu’on pouvait aussi s’attendre à voir qu’en ce qui concerne la démocratie précisément, le décalage entre la terminologie utilisée et le contenu conceptuel auquel elle devrait renvoyer correspond au décalage permanent qui sépare l’idéal et le réel.

Vers la fin de son propos, le professeur Dibble tente de se mettre à la place d’un Africain pour exprimer le sentiment mélangé susceptible d’être celui de l’Africain qui a subi et continue de subir l’influence d’un monde occidental qui se remet en cause, doute de lui-même tout autant qu’il demeure agressif.

Même si des rencontres intellectuelles comme celle-ci ne sont pas faites pour régler séance tenante des difficultés du quotidien, il y a lieu de le remercier d’avoir choisi de rappeler l’essence noble de la politique comparée à ses déviances en égoïsmes divers.
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Le Professeur Carl M. Dibble, venu des Etats unis, présentant son exposé

Le Professeur Njoh Mouelle pendant la contradiction au Professeur Carl M. Dibble, PhD

Une vue de l'assistance. Un étudiant posant une question aux intervenants du jour

Le Professeur Carl M. Dibble pendant sa démonstration

Photo d'ensemble. de Gauche à droite, Dr Malolo, Professeur Carl M. Dibble, et le Professeur Njoh Mouelle
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(C)octobre 2007 Réalisation BDSOFT