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Actualité du 21-05-2010

12 Mai 2010, Conférence au Centre culturel français de Douala : « Solidarité ethnique, solidarité nationale et citoyenneté »

Autour des idées de solidarité et de citoyenneté, il s’est agi de voir si la modernité de la réalité nation est un leurre face à la puissance de manifestation des solidarités primaires que représentent les identités ethniques et villageoises. En effet, Thierry Michalon, auteur de l’ouvrage Quel Etat pour l’Afrique paru chez L’Harmattan en 1984 proposait, comme réponse à cette question, que l’Afrique s’organise en fédérations d’Etats ethniques…...

Mesdames et Messieurs,



J’ai choisi de placer au cœur du débat, l’idée de solidarité que devront venir éclairer d’une lumière particulière les idées de citoyen et de citoyenneté. Qui dit solidarité parle d’une relation entre des personnes qui ont conscience de partager une communauté d’intérêts leur faisant obligation de se soutenir en toutes circonstances. Il est évident qu’il s’agit ici d’hommes individuels et non de groupes d’hommes. Ces individus se déterminent-ils en leur qualité de citoyens dans toutes les situations sans que le lien de solidarité entre en jeu ? Car le citoyen qui est un acteur qui s’épanouit le mieux en contexte de démocratie fonctionne surtout sur la base des solidarités d’idées, de programmes et de projets de société. N’existe-t-il donc des débats d’idées et des projets de société qu’en contexte d’Etat- nation et non en contexte d’Etat ethnique, à supposer que des Etats ethniquement homogènes existent ?



Je fais partir ma réflexion de l’interrogation qui a fourni son titre au livre que Thierry Michalon a publié en 1984 chez L’Harmattan, à Paris, à savoir « Quel Etat pour l’Afrique ? ». En appuyant son argumentation sur le fait qu’aujourd’hui, « ce qu’il y a de ferme et de solide sur quoi se fonder, ce sont les solidarités primaires, villageoises, ethniques et claniques », des solidarités « plus vivaces et plus puissantes que l’embryonnaire solidarité nationale », Thierry Michalon proposait que l’Afrique s’organise sous la forme de fédérations d’Etats ethniques.



En faisant cette proposition, l’auteur de « Quel Etat pour l’Afrique » était parfaitement conscient du fait qu’en la matière, les jeux étaient pratiquement faits un peu partout ; les Etats hérités de la colonisation s’étant déjà trouvés en train de fonctionner en Etats unitaires multiethniques et plus ou moins centralisés. Au plan purement intellectuel, l’idée émise par Th. Michalon ne manque cependant pas d’intérêt et c’est pour cette raison qu’elle m’a inspiré l’exposé que je me propose de vous faire.



Solidité et fermeté du lien de solidarité

Dans la proposition de Thierry Michalon, je vais retenir comme fondamentale pour la fonctionnalité de la solidarité l’expression : « ce qu’il y a de ferme et de solide sur quoi se fonder ».La fermeté et la solidité du lien de solidarité se voient en ceci que les membres du groupe n’ont pas besoin de se faire violence, ou qu’il leur soit fait violence pour qu’ils agissent ou se comportent de telle ou telle manière identique. La fermeté suppose la fermeture qui est une limitation à l’ouverture, tout comme l’idée de solidité fait penser à celle de cohésion. Le solide, c’est l’opposé du mou, du relâché ou du distendu.

Pourquoi ces solidarités ethniques présentent-t-elles la fermeté et la solidité que leur reconnaît Thierry Michalon et que nous devons aussi leur reconnaître ? N’est-ce pas parce que, indiscutablement, elles semblent reposer sur deux liens qui ont souvent été sacralisés dans toutes les cultures, à savoir le lien du sol ou de la terre, si on préfère, et le lien du sang ? Cette terre du village dans laquelle le reste du cordon ombilical du bébé est enfoui à jamais ; cette terre à laquelle il est demandé d’être légère le jour de l’inhumation de ses enfants ! Cette terre chantée comme étant le berceau des ancêtres ! Le sang, parce que les membres de l’ethnie revendiquent les mêmes ancêtres ? Parce que les liens du sang ne se négocient pas, ne se renoncent ni ne se dénoncent.

J’ai cependant en mémoire le vers d’un poème d’Antoine Assoumou qui affirme que le sang est une chimère :



« … C’est dans l’enfance que se transmet l’essentiel de l’héritage

« Je sais que le sang n’est qu’une chimère



Le sang, une chimère ? Oui, une chimère que la force de la culture parvient parfois à faire oublier, mais pas à effacer. En effet, la seconde naissance de l’homme n’a plus rien de biophysiologique ; elle est toute culturelle ; et la matrice porteuse de cette gestation est le milieu social. C’est pourquoi un bébé né de parents bamouns au Cameroun, récupéré un mois après sa naissance pour être élevé par des parents chinois à Beijing, aura une identité chinoise. Ce sera un Chinois. Ce qui veut clairement dire qu’on ne naît pas bamoun, on le devient ; et on le devient par l’éducation et la socialisation en milieu bamoun.

Au-delà donc du lien du sol ou de la terre et le lien du sang, les facteurs culturels que sont la langue, la religion, les coutumes, les totems, l’histoire commune souvent fixée dans et par les épopées et les légendes diverses, achèvent de donner une sorte d’âme collective au groupe ethnique. Un groupe susceptible de se lever et d’agir parfois comme un seul homme. Un groupe qui inspire et nourrit le comportement de chacun de ses membres.

Le groupe ethnique, dans la pureté hypothétique de sa fermeté et de sa solidité ne manque pas de présenter un certain caractère totalitariste: Tout le monde y pense à peu près la même chose, quand il s’agit des coutumes et des traditions ; le groupe submerge l’individu, le Tout, plus que jamais, prime sur la partie, le collectif sur l’individuel. Dans les massacres auxquels se sont livrés Hutus et Tutsis au Rwanda, il y a lieu de reconnaître la manifestation des solidarités primaires dont parle Thierry Michalon. Les valeurs culturelles produites par le groupe sont assimilées et intériorisées par chaque membre qui fait tout pour s’y conformer aussi longtemps qu’il ne lui vient pas l’idée de les critiquer et de les remettre en cause.



Que deviendrait la solidarité ethnique dans un Etat ethnique ?

La question qui vient à l’esprit à ce niveau de mon exposé est celle-ci : La solidarité ethnique envisagée dans sa pureté hypothétique a-t-elle besoin d’exister dans le contexte d’un Etat ethnique ? Autrement dit, un Etat ethnique homogène aurait-il besoin de développer une forme de solidarité autre que nationale ? Nous sommes ici dans l’hypothèse d’un Etat qui ne serait pas multi-ethnique. L’Etat ethnique singulier et homogène qui n’entre dans aucune espèce de fédération devrait pouvoir développer plus rapidement le sens de l’intérêt général grâce au fonctionnement de la conscience citoyenne en son sein. Comme on ne devrait pas y rencontrer des conflits opposant des ethnies à d’autres ethnies, puisqu’il n’y en a qu’une, les oppositions se situeraient d’emblée entre les intérêts particuliers des individus et l’intérêt général. C’est l’Etat au sein duquel seraient nettement séparés les domaines des coutumes et de la tradition, d’un côté et, de l’autre côté, le domaine de la modernité du fonctionnement de la démocratie au service du développement. Le citoyen est un homme ou une femme, jouissant des droits de cité (droits d’Etat), c’est-à-dire des droits de participation à la prise de décisions relatives à la marche des affaires de la cité. Il traite des idées, des programmes et des projets de société. C’est pourquoi il ne s’épanouit qu’en contexte de démocratie où des affinités et des solidarités peuvent se constituer autour de ces programmes et de ces projets de société par lesquels se distinguent et s’identifient les partis politiques, et non nécessairement autour des liens qui définissent les solidarités primaires (le sang, la terre, la langue, les coutumes, les totems, etc.)

Permettez-moi de faire un bref rappel de l’origine de la citoyenneté : c’est l’Antiquité gréco-romaine qui a légué ce patrimoine notionnel à l’humanité. Dans la Grèce antique, le citoyen devait être un homme libre, par opposition au statut d’esclave. Il devait être né d’un père citoyen et d’une mère, fille de citoyen. En vertu de cela il pouvait participer à la vie politique faite de débats dans l’agora. Il pouvait se faire élire aux fonctions publiques et notamment judiciaires. Il avait le droit d’être électeur. Au vu de tout cela, les femmes, les esclaves et les métèques (étrangers) ne pouvaient accéder au statut de citoyen dans la Grèce antique. L’idée de liberté individuelle se trouve donc ancrée au cœur du statut de citoyen. Le citoyen a des idées personnelles et pas nécessairement des idées de groupe, des idées de l’ethnie. Le citoyen ressemble au sujet cartésien du cogito ergo sum. Il est un centre d’initiative ; ce en quoi commence l’expression de sa liberté. C’est également le « sujet connaissant » de la révolution copernicienne selon Kant : à savoir que ce ne sont pas les réalités du monde extérieur qui viennent s’imprimer dans notre conscience dans le cadre de la perception, mais plutôt le sujet connaissant qui organise le monde extérieur dans l’acte de le percevoir.

En adoptant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la Révolution française de 1789 redonnait la première place à l’homme en tant que sujet libre par opposition au sujet du roi au temps de l’Ancien Régime et de la féodalité assujettissante. Aujourd’hui, le statut de citoyen permet à chacun de participer au choix du destin de la cité (aujourd’hui l’Etat, la nation).

Revenons à présent sur la considération de ce qui se passe dans un Etat ethnique pour dire que dans le domaine des coutumes et des traditions qui cimentent la conscience et la personnalité ethniques, les membres sont habitués à ne pas avoir d’opinion critique à émettre sur les questions relatives à l’histoire du groupe, à ses totems, à ses croyances religieuses, à ses règles de vie commune. En ces matières que je viens de citer, tout semble codifié et inébranlable Il y a des autorités statutaires reconnues, les seules à même de détenir la vérité et de la faire connaître quand les circonstances l’exigent ; ils tiennent leur rôle d’un héritage familial ainsi que de la force de l’initiation. Dans ce contexte, les individus fonctionnent et agissent à partir des directives et des mots d’ordre reçus des instances ethniques traditionnelles.

Mon hypothèse est que dans un Etat ethniquement homogène, la solidarité ethnique est appelée à se muer rapidement en solidarité nationale. Cette opération pourrait être facilitée par le fait que les individus se voient d’emblée confrontés à l’opposition entre leurs intérêts particuliers et l’intérêt général qui se trouve être celui de l’ensemble du groupe ethnique vivant dans l’espace commun et sous la direction de la structure politique et administrative qui s’appelle l’Etat. Sur quoi donc semble se fonder ici la solidarité nationale ? C’est sur la perception de l’intérêt général venant renforcer la perception de l’intérêt du groupe, non pas contre les intérêts d’autres groupes, mais contre les intérêts égoïstes des individus. Je reviendrai sur la question tout à l’heure quand j’aurai à évoquer la solution de la décentralisation. Le fait est que l’Etat ethnique homogène que je viens d’évoquer n’est que pure hypothèse servant à l’analyse. La réalité de la grande majorité des Etats africains sortis de la période coloniale est celle des Etats multiethniques.



La réalité est celle des Etats multi-ethniques

Le pouvoir colonial a réorganisé les espaces tribaux initiaux en associant les uns aux autres dans un projet qui ne pouvait conduire qu’à l’extension du champ des intérêts vitaux des uns et des autres associés. Je considère comme définitivement franchie l’étape au cours de laquelle ce processus d’extension des espaces tribaux aura été géré par un pouvoir venu d’ailleurs, le pouvoir colonial. Le fait est qu’aujourd’hui, les indépendances dont on célèbre le cinquantenaire de la proclamation, ne sont pas des indépendances d’Etats ethniquement homogènes, mais plutôt des indépendances d’Etats multiethniques. Aujourd’hui en Afrique, c’est davantage à travers les Etats que se perçoivent les nations ; non pas comme projets accomplis, mais comme projets en cours de réalisation sous la conduite précisément du pouvoir d’Etat.

Les réalités africaines des années 80 qui ont inspiré le livre de Th. Michalon sont demeurées à peu près les mêmes à ce jour. Ce sont des réalités d’une coexistence des cercles de solidarités ethniques avec le cercle diffus de solidarité nationale. L’Etat moderne est préoccupé de faire naître le sentiment national autour de la défense des intérêts liés au bien-être et à l’épanouissement de toutes les composantes de la nation en gestation. En dehors des espaces tribaux juxtaposés et assortis de leurs chefferies, sultanats, lamidats et autres, la nation est perçue plus ou moins confusément par les individus à travers la réalité de l’Etat et des institutions qui le représentent. La réalité vécue s’est présentée pendant longtemps comme étant celle des conflits entre cet Etat centralisé et la périphérie en attente des solutions venant de la capitale. Ce qui a permis à Thierry Michalon d’écrire en 1980 que : « dans l’état actuel des choses, l’existence et le fonctionnement (même très imparfait) de l’Etat-nation, unitaire et centralisé aggravent souvent les tensions inter-ethniques et s’opposent donc à la formation rapide d’un sentiment national ». « En effet, poursuit-il, le type d’Etat, transposé de la France, réalise la concentration dans la capitale de tous les pouvoirs et de tous les moyens financiers, au détriment du reste du pays, dont la substance se trouve parfois véritablement « pompée ». Du coup se forme dans la capitale, une sorte d’énorme gâteau ( le pouvoir, l’argent, les emplois administratifs) qui suscite des convoitises de toutes parts, et attise des rivalités inter-ethniques beaucoup plus fortement que le colonisateur ne l’a jamais fait . C’est ainsi que, dans certains pays, les rivalités sont plus aiguës aujourd’hui qu’elles ne l’étaient en 1960, et qu’il y a eu, non pas progression mais souvent régression de l’homogénéité nationale. Les institutions jacobines, uniformes et centralisées, héritées de l’ancien colonisateur, ont donc eu, fréquemment, l’effet inverse de celui que l’on attendait d’elles. » (pp. 130-131)



La Centralisation administrative et le ralentissement de la naissance de la conscience nationale.

L’embryonnaire solidarité nationale, pour reprendre l’expression de Thierry Michalon, serait donc mise en difficulté, non seulement par les plus vivaces et plus puissantes solidarités ethniques, mais également par la forte centralisation administrative qui aura contribué à créer une sorte de sentiment d’exclusion dans la périphérie constituée des cercles de solidarités ethniques et villageoises. Tous les membres des cercles de solidarité ethnique présentent un double visage dans leur fonctionnement par rapport à la citoyenneté : ils se comportent en citoyens quand il s’agit des débats autour des nouveaux intérêts que sont ceux de développement et de ce qu’on a coutume d’appeler le partage du gâteau national ; mais ils renoncent à l’essentiel de leurs attributs de citoyen, à savoir la liberté de débattre et de critiquer et se comportent en hommes assujettis, quand il s’agit d’opposer les intérêts de l’ethnie à ceux de la nation, c’est-à-dire à l’intérêt général encore appelé intérêt supérieur de la nation. Cette opposition entre l’ethnie et la nation n’est pas forcément directe ; elle est souvent indirecte en ce sens que ce sont les oppositions et les compétitions entre les diverses solidarités ethniques qui entraînent comme conséquence la perte de vue, si ce n’est la méconnaissance de l’intérêt général, et en dernière analyse, la mise en échec de l’action de l’Etat. Car c’est le pouvoir politique et administratif qu’est l’Etat qui est pris à partie par les composantes ethniques attentives à ce qu’elles considèrent comme part de gâteau devant leur revenir. Les pressions plus ou moins directes des ethnies peuvent donc conduire l’action de l’Etat à freiner et à ralentir le développement de la conscience et de la solidarité nationales. Autrement dit, la pratique du débat et de la démocratie a tout lieu de voir la participation de tous les citoyens quand il s’agit des affaires de la nation moderne, sans que cela conduise à la consolidation de ces nouveaux liens de solidarité que sont les programmes et les projets de société. Idées, programmes et projets de société qui ne sauraient être réalisés de façon à donner satisfaction en même temps à toutes les composantes de la nation. Il y a lieu de déplorer à cet égard le caractère pernicieux de l’idée de partage du gâteau national qui détourne les uns et les autres de la recherche des adhésions à des idées et à des programmes arrêtés en commun. La preuve en est que ce qui maintient l’adhésion à un parti politique aujourd’hui en Afrique n’est pas à chercher dans le corpus idéologique de ce parti, mais plutôt dans la même identité d’origine ethnique que celle du leader du dit parti politique. L’éclosion de la nation ne se situe certes pas nécessairement sur le chemin de la disparition des ethnies et des tribus, mais son plein épanouissement ne peut être favorisé que par des actions et des programmes porteurs d’atténuation de la virulence des sentiments tribaux.



Le salut par la décentralisation ?

Pour tirer les leçons des conséquences négatives occasionnées par la forte centralisation administrative sur l’évolution de la conscience nationale, il apparaît qu’il n’ y a pas mieux à faire que de procéder à une certaine décentralisation administrative dont le premier effet positif doit être de réconcilier la périphérie et le centre.

En effet, il peut sembler paradoxal de dire qu’il faut décentraliser si on veut redonner un coup d’accélérateur au développement de la conscience et de la solidarité nationales. Le paradoxe n’est qu’apparent en effet, si l’on pense que la décentralisation semble faire droit aux intérêts des régions, c’est-à-dire aux intérêts des cercles de solidarités de base, locales, villageoises et ethniques. C’est pourtant une orientation pertinente quand on se dit qu’il n’ y a que l’administration pour donner une coloration uniformisante là où l’hétérogénéité ethnico régionale est dominante. En dehors des espaces tribaux juxtaposés et assortis de leurs chefferies, sultanats ou lamidats, où se trouve la nation ? C’est dans l’administration moderne qui devrait fonctionner de manière identique sur l’ensemble du territoire national. Le sens du service public que l’administration se doit de développer et d’entretenir ne change pas de nature quand on passe de l’administration centrale à l’administration locale ou décentralisée. Telle est aussi la conviction de Thierry Michalon quand il écrit que « l’on peut être certain que l’esprit de service public naîtra de lui-même dans des administrations régionales ethniquement homogènes, alors qu’il ne cesse de régresser dans les actuelles administrations d’Etat, paralysées, à cause de leur hétérogénéité ethnique ». Quel est le problème permanent ? C’est celui de la non-perception de l’intérêt général par les citoyens ; sans que cela veuille dire qu’ils ne voient que l’intérêt du groupe ethnique. La plupart du temps c’est leur intérêt particulier qu’ils opposent à l’intérêt général. Il s’agit donc de dire que dans un contexte de décentralisation, sous une administration locale, la même opposition demeure : celle de l’intérêt particulier et de l’intérêt général. Dans sa nature, l’intérêt général reste l’intérêt général, qu’il soit opposé à l’intérêt particulier en contexte national ou qu’il le soit en contexte local et décentralisé. C’est pourquoi il y a lieu de penser et d’espérer que la décentralisation régionale, contrairement aux apparences, est plutôt de nature à favoriser la consolidation de la conscience nationale et par ricochet de la solidarité nationale. C’est dans l’opposition entre l’intérêt général et l’intérêt particulier en situation d’administration locale et décentralisée que s’effritera petit à petit la solidarité ethnique au profit de la solidarité nationale.



.Au-delà du sens de l’intérêt général

Mais il faut beaucoup plus que la seule possession du sens de l’intérêt général pour faire naître le sentiment de solidarité nationale. On oublie souvent que l’intérêt général n’est pas une réalité abstraite et lointaine ; l’intérêt général prend nécessairement la forme d’un projet prioritaire, d’une décision concrète demandant parfois aux particuliers de céder leur terrain pour cause d’utilité publique, moyennant dédommagement, etc. La seule logique que les gens connaissent est celle de la satisfaction de leurs intérêts. L’ensemble des intérêts du pays et de la nation comporte un nœud stable et une partie en perpétuelle construction, à savoir les nouveaux projets. Qu’est-ce qui détermine un étranger à solliciter la nationalité d’un pays qui n’est pas son pays de naissance, le pays de ses parents ? Il y a d’abord l’identification par lui des perspectives d’épanouissement personnel dans ce pays. Il y a ensuite le fait de se plaire dans le pays d’adoption, un pays qu’on aime, tout compte fait. Comment ne pas voir que c’est l’amour du pays qui devrait définitivement et inconditionnellement cimenter la conscience et la solidarité nationales ? C’est bien parce qu’on aime son terroir, la base territoriale de sa tribu, qu’on peut développer une conscience tribale et une solidarité tribale.

La solidarité nationale s’affirme plus facilement et plus spontanément dans l’espace international, face à d’autres nations contre lesquelles il faut défendre les nôtres. La solidarité nationale est une solidarité de « supporter » aligné derrière les couleurs symbolisant la nation. Et justement, les Etats ont tout intérêt à multiplier les projets rassembleurs que soutiendraient tous les citoyens sans distinction de tribu, précisément parce qu’ils font sortir tout le monde du cadre de la logique du partage du gâteau, un cadre dans lequel tout est calculs, dénombrements et quantification des retombées. Les projets rassembleurs font appel à quelque facteur émotionnel et sentimental. Ils ne sont pas des gâteaux partageables !

Dans l’Histoire générale des peuples et des nations, les guerres ont souvent contribué à accélérer la construction de la conscience nationale et de la chaîne conséquente de solidarité. L’ennemi extérieur, celui qui est perçu comme tel, vous oblige à renforcer à l’intérieur vos liens de solidarité pour mieux le combattre. Nous n’allons tout de même pas encourager le bellicisme pour que des guerres accélèrent l’émergence de la conscience nationale ici ou là. Aujourd’hui, comme hier d’ailleurs, les confrontations sportives opposant des nations jouent ce même rôle. Autour des équipes nationales se sont toujours édifiés des sentiments de solidarité nationale, peut-être sporadiques, mais réels. On imagine difficilement que des citoyens camerounais aient secrètement souhaité la défaite des équipes nationales engagées dans des compétitions internationales ! A cet égard, une étape me semble franchie : celle pendant laquelle certains se plaignaient que l’équipe nationale de football du Cameroun ne comportaient pas des joueurs de leurs tribus.



L’Education et les générations futures

Mais l’action la plus méthodique qu’on puisse engager dans le sens de construire un haut degré de conscience nationale est celle devant être confiée au secteur de l’éducation, et principalement à travers les programmes d’Histoire, de géographie et d’instruction civique. Elle vise essentiellement l’avenir Ce qui veut dire que la solidarité nationale s’inscrit dans une longue et patiente élaboration qui mise sur les générations futures.



Conclusion :

Que dire en guise de conclusion ?

La solidarité ethnique ne présente cet aspect de solidité et de fermeté dont nous avons parlé dès le début que parce qu’elle a eu besoin de la durée et donc du temps pour s’édifier et que ce n’est pas en un jour qu’elle s’est faite aussi forte et aussi cohérente. C’est pourquoi la consolidation de la solidarité nationale demande elle aussi le temps qu’il faut pour qu’elle puisse supplanter la solidarité ethnique. La généralisation et l’extension des régimes démocratiques en Afrique contribueront à faciliter et à accélérer l’émergence de la conscience nationale chez l’individu, grâce à l’importance et au caractère décisif de la culture citoyenne faite d’activité participative, de débats d’idées et d’approfondissement de cette réalité qui s’appelle le destin commun. Tous ceux qui s’associent à des choix communs de programmes et de projets de société débordant le cadre étroit des espaces tribaux et des solidarités ethniques, oeuvrent à la déstructuration de leurs mentalités. Si on en fait un usage judicieux, la télévision jouera et peut-être joue déjà un rôle d’accélérateur de processus dans divers pays. Elle brise le cadre réduit des espaces tribaux en faisant vivre en temps réel des événements tant nationaux que régionaux, par ses reportages qui vous donnent l’illusion de vous transporter sur des lieux autres que ceux de l’espace tribal étriqué..

Je demeure persuadé par ailleurs que la décentralisation régionale, mieux que la centralisation jacobine, place le citoyen devant l’obligation de mieux discerner l’intérêt général, opposé non pas à l’intérêt de son ethnie, mais à son intérêt particulier et personnel. Ce qui n’a jamais voulu dire qu’il fallait systématiquement pousser les intérêts particuliers et personnels à se taire. Nous avons vu que s’il pouvait exister des Etats ethniquement homogènes, solidarité ethnique et solidarité nationale s’y confondraient rapidement. Autrement dit, bien que la région, dans le cadre de la décentralisation, ne soit pas comparable à un Etat ethnique, il y a fort à parier que l’animation de la praxis citoyenne en son sein conduira plus rapidement à l’effritement des solidarités ethniques au profit d’une solidarité régionale fondée sur l’intérêt général régional qui, en son essence, fonctionne comme le ferait l’intérêt général de la nation.

On a coutume de dire qu’on ne peut pas planter un baobab aujourd’hui et espérer s’abriter bientôt sous l’ombre de son feuillage. En ce qui concerne les nations africaines et leur pleine expression en termes de cohésion et de sens de l’intérêt supérieur de la nation il en sera ainsi. C’est longuement et patiemment, à travers les programmes scolaires en matière d’éducation que les générations futures pourront pleinement vivre et faire fonctionner ce qui n’est qu’embryonnaire aujourd’hui.
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Le Pr Njoh Mouelle Pendant son exposé

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Un étudiant participant au jeu de questions réponses

Le Maire de Douala 1er a pris la parole ...

Le Pr suivant attentivement les contributions et les questions venant de la salle

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