UNE PIROGUE DE
COURSE DANS L'ANIMATION ANNUELLE DU " NGONDO"* FETE TRADITIONNLELLE
DES SAWAS A DOUALA
C'est en Avril 1992 que
je me suis résolument engagé à faire fabriquer une
pirogue traditionnelle de course. Je répondais à un appel
lancé à toutes ses forces vives par le président
de l'assemblée traditionnelle du "peuple sawa" (région
de Douala et de toute la côte camerounaise) . On peut la voir sur
les diverses photographies ci-contre : une embarcation de 66 pagayeurs
au départ, mais ramenée à 55 pour une meilleure
fonctionnalité ( certains disent rameurs au lieu de pagayeurs;
mais nos pirogues ne sont pas tout à fait des avirons qu'on peut
voir sous d'autres cieux). L'appel du président du " ngondo "*
nous demandait de produire des pirogues de course susceptibles de participer à Gênes
en Italie, à la fête de l'eau qui était programmée
dans le cadre du 500è anniversaire de la naissance de Christophe
Colomb, le découvreur des Amériques.( Christophe Colomb était
originaire de Gênes) En effet, l'ambassadrice d'Italie à Yaoundé au
début des années 90 avait été fort séduite
par les manifestations organisées à l'occasion de la fête
annuelle des sawas et, en particulier, sa partie finale qui se déroule
sur les rives de l'estuaire du Wouri, le dimanche matin et se clôturant
par une course des pirogues soulevant toujours un très grand enthousiasme
populaire. C'est elle qui fit la proposition aux autorités du " ngondo " de
se joindre aux Génois, autre peuple de l'eau, en allant s'y produire,
non en compétition, mais sous la forme d'un spectacle d'exhibition.
Les Camerounais visitant ce site ne manqueront pas de la reconnaître
sur l'une ou l'autre des photos que j'ai sélectionnées.
Je dois dire que sortant d'une défaite électorale aux
législatives, un mois plus tôt, libéré des
fonctions de secrétaire général du Rdpc pour ne
conserver que celles de conseiller à la Présidence de la
République, j'avais trouvé là, un projet qui tombait à pic
pour quelqu'un qui avait besoin comme moi, de se remotiver, de rebondir
d'une certaine manière. Les gens de mon village sont des " gens
de l'eau " et ils ont toujours, dans le passé, obtenu de
brillants résultats avec les pirogues de courses antérieures
; car évidemment, celle que j'ai fait faire n'est que la ènième
dans l'histoire de la fête du " ngondo ". Les premières étaient
tout aussi performantes et championnes que celle que j'ai le plaisir
de présenter ici et qui, depuis son entrée en compétition
en décembre 1992, a gagné huit courses sur dix organisées
dans le cadre du " ngondo " et cinq sur cinq en 2001, lorsque
le président de la fédération nationale des sports
nautiques avait tenté une première expérience d'organisation
d'un championnat pour les pirogues de courses. Sur la place de Douala,
bien des entreprises et sociétés commerciales aimeraient
devenir des sponsors de cette pirogue, la publicité recherchant
toujours à se donner des champions comme supports. C'est ce que
fait l'équipementier Puma avec les " Lions indomptables du
Cameroun " !
Comment expliquer le succès de cette pirogue à laquelle
mon nom fut donnée le jour de sa toute première mise à l'eau à Tondè village,
le 5 Août 1992 par le chef supérieur du canton Wouri-Bossoua,
mon canton d'origine ? (Est-il nécessaire de le rappeler, j'ai
entièrement financé sa fabrication) C'est la question qu'on
me pose tous les ans. Je vais commencer par signaler le fait important
ayant consisté à voir drainer sur les berges de ce petit
village de la grande banlieue de Douala, non seulement les autorités
administratives au premier rang desquelles le gouverneur de la province
en personne, Ferdinand Koungou Edima, mais encore la quasi totalité des
chefs traditionnels sawa siégeant à l'Assemblée
du " ngondo ", accompagnés de leurs grands notables,
ceux-là mêmes du rang desquels sortirent les officiants
du rituel de la cérémonie de la mise à l'eau publique
intervenue le samedi 25 Août 1992. Comment omettre de mentionner
la présence de la foule des amis, et des élites sawa qui,
ce matin-là, de très bonne heure, avaient fait le déplacement
? Comment ne pas mentionner de manière spéciale encore,
l'ambassadrice d'Italie, Mme Costa, partie de Yaoundé, sur mon
invitation, pour assister à cet événement qu'elle
n'aurait souhaité manquer pour quelque motif que ce fût
!
Se demander donc pourquoi cette pirogue a remporté toutes ces
victoires c'est accorder peu d'importance au fait que pratiquement tout
le " ngondo " était monté à Tondè village
pour, en quelque sorte, la " bénir ", elle qui se trouvait être
la première réponse à l'appel lancé par le
président du " ngondo ", à toutes les élites
et forces vives sawa ?
Plus objectivement, je dois dire que le secret des victoires répétées
de cette pirogue tient peut-être à deux faits : premièrement,
l'arbre gigantesque qui a servi avait été déraciné tout à fait
naturellement, peut-être par un orage, cinq années auparavant
; conditions idéales pour l'usage qu'on voulait en faire. Nous
l'avons trouvé allongé, l'écorce disparue sous l'action
répétée de cinq saisons de pluies et de cinq saisons
sèches. Bref, il présentait d'excellentes qualités
de flottaison, à l'inverse des arbres utilisés peu de temps
après leur abattage, toute la sève n'en étant pas
partie. En second lieu il faut dire que mes pagayeurs sont des jeunes
gens qui vivent encore au quotidien une vie de piroguier, à la
différence de bon nombre de leurs concurrents basés en
ville à Douala et n'ayant plus ce contact forcé avec le
fleuve. Evidemment, il s'est trouvé des gens chaque fois pour
penser qu'il y avait une histoire de " gris-gris " derrière
toutes ces victoires. Cela fait partie de la mentalité encore
dominante chez nous. Vous ne réussissez jamais par vos moyens
des plus objectifs et vérifiables ; non ! il faut qu'on y colle
des explications soi disant mystiques ! J'en parle dans mes écrits
et notamment dans " l'Essai sur la signification humaine du développement " intitulé " De
la médiocrité à l'excellence ".
De toutes les courses, celle qu'il n'était pas question de perdre était
la course du grand " ngondo " de décembre 1999 baptisée
en langue douala " ngondo mesanedi ", le " ngondo " de
l'aube…(sous entendue de laube du 21è siècle) Le
bureau du " ngondo " avait voulu et réussi à faire
de cette échéance une grande manifestation devant marquer
les esprits, sous l'angle de la mobilisation populaire, tout autant que
sous l'angle de la qualité des spectacles à offrir au public.
Un pagne spécial avait été commandé pour
le " kaba " des femmes et le pagne des messieurs. Avant cette
décision, chacun portait le pagne** ou le " kaba*** " taillé dans
l'étoffe de son choix. C'est à ce " ngondo " que
le prince René Douala Bell, alors président du " ngondo ",
se fit remettre une distinction spéciale de la part du Directeur
général de l'Unesco. Le directeur du bureau régional
de l'Unesco à Yaoundé, M. Cheickh Tidiane Sy, me fit l'honneur
de me confier la médaille pour qu'en ma qualité de vice-président
sortant du Conseil Exécutif, je la remettre au récipiendaire.
Le " ngondo " 2003 a fait imprimer un nouveau tissu tout aussi
beau que celui du " ngondo mesanedi " ; et ma pirogue a de
nouveau remporté la compétition de la manière la
plus plaisante pour le public. Elle a remonté de façon
spectaculaire sa concurrente qui, pendant quelque temps la devançait
et croyait déjà à la victoire finale. Les pagayeurs
s’étaient avisé de porter les couleurs nationales,
se prenant pour les lions indomptables des sports nautiques.
En 2004 ce fut le même scénario. La nouvelle grande concurrente
venue d’Edéa et comptant 85 pagayeurs a également été distancée
de plusieurs longueurs...
L’édition de 2007 a vu la pirogue des bakokos de Japoma mettre provisoirement fin à la longue suprématie de la pirogue des ewodis contrainte à n’occuper que la deuxième place. De l’avis de la plupart des supporters, il fallait bien cette défaite pour espérer relancer l’intérêt de la compétition à partir de l’année prochaine où la véritable question qui sera sur toutes les lèvres, présumons-le, sera celle-ci : la suprématie de la pirogue des ewodis et du professeur Njoh-Mouelle a–t-elle réellement pris fin en 2007 ?
Dimanche, 7 décembre 2008, Njo’a bôlô est de nouveau battu sur le fil, cette fois, par la pirogue des Jebalé. La déception fut d’autant plus mitigée du côté des supporters que, non seulement après seize années de présence cette pirogue et ses pagayeurs continuent d’être performants, mais aussi qu’il y a lieu de se rappeler que tout champion a comme vocation naturelle de se voir un jour supplanté et détrôné par un autre champion. Il n’en sera ainsi que lorsqu’une autre pirogue réussira la performance de remporter d’affilée plus d’une dizaine de compétitions.
Dimanche, 6 décembre 2009, six pirogues d’envergures équivalentes ont pris le départ de la course 2009. Les Jebale ont fait enregistrer deux pirogues avec des pagayeurs tout de rouge vêtus. Le suspens créé par le fait que notre pirogue n’a pas gagné les deux dernières éditions n’a pas tenu ses promesses. Ceux qui attendaient une troisième défaite consécutive des Ewodis ont dû déchanter. La pirogue des Ewodis a repris sa place de numéro 1 en franchissant la ligne d’arrivée avec plus de 40 mètres d’avance sur l’une des pirogues des Jebalè. Ce qui a fait dire à l’annonceur des résultats de la course que les Ewodis sont « les brésiliens de l’eau » !
Dimanche 5 décembre 2010. La course des pirogues par laquelle se boucle la fête, a vu la victoire de la pirogue des Jebale. La pirogue championne de ces 18 dernières années, pirogue des Ewodis encore appelée Njo’a Bolo et Nkam- Nkam a terminé deuxième sur les huit participantes. Si ses pagayeurs accusent une relative usure et « vieillesse », ils sont tout de même très méritants pour avoir occupé le 2è rang, distançant de très loin la pirogue des bakokos arrivée 3è. Rappelons que l’année dernière, 2009, la pirogue gagnante était encore celle des Ewodis.
Dimanche 04 décemre 2011. l'Hégémonie de la pirogue des Ewodis (NKAM-NKAM) s'est de nouveau affirmée au Ngondo 2011 malgré le plan de sa destruction imaginée par sa concurrente Jébalè, qui a été coiffée au poteau.(lire)
Dimanche 07 décembre 2014. Le Ngondo 2014 n’a pas vu la participation de notre pirogue Njo’a Bôlô qui a décidé de ne plus se produire que pour des parades spéciales. Son bilan se présente de la manière suivante : De 1992- 2006 : 15 victoires d’affilée sur les 15 éditions organisées. L’année 1993 n’ayant pas connu de compétition en raison de l’observance du deuil occasionné par le décès du personnage de la pirogue des « miengu » qui descendait dans l’eau pour aller chercher le message des ancêtres. Première défaite enregistrée en 2007 ; nouvelle défaite en 2008, puis en 2010 et 2012. Victoires en 2009, 2011 et dernière victoire en 2013. Comment notre pirogue s’est-elle comportée les années où elle a perdu la première place ? En 2007, elle est arrivée 2è après la pirogue des Bakokos ; en 2008, de nouveau 2è battu sur le fil par la pirogue des Jebalè ; en 2010, de nouveau la 2è place derrière les Jebalè ; puis, dernière et quatrième défaite en 2012, nous arrivons en 3è position.
Depuis quelque temps j’avais suggéré à Maurice Doubé d’examiner la possibilité de préparer une nouvelle pirogue pour la communauté Ewodi. Il a donc réussi la mise à l’eau d’une nouvelle pirogue pour la compétition de cette année 2014. Malheureusement, la compétition a été annulée, trois pirogues ayant chaviré pour cause de grosses vagues et du fait d’un lancement tardif par rapport à la marée montante.
Dimanche 06 décembre 2015. Notre pirogue ne prenait pas part à la compétition, étant donné qu’elle a couru pour la dernière fois en 2014, se réservant la possibilité de participer à des éditions de pure parade nautique à présenter aux touristes. La pirogue annoncée au départ de la course sous l’appellation Nkam-Nkam est celle produite depuis 2014 par Maurice Doube, tandis que celle annoncée sous l’appellation de pirogue des Ewodis, est celle produite par Narcisse Mouelle Kombi. Au moment où nous quittions les rives et le site du Ngondo, ces pirogues ne s’étaient toujours pas montrées. Nous apprendrons par la suite qu’elles auraient été victimes d’attaques anti-sportives les ayant fait chavirer
Dimanche 04 décembre 2016 Bien que demeurée physiquement en bon état, notre pirogue ne prend plus part aux compétitions de la fête du Ngondo. Une décision prise depuis l’édition de 2014 dont le compte-rendu a donné un bilan complet des 22 participations ayant connu 18 victoires dont 15 d’affilée de 1992 à 2006. Cette année-ci, 2016, aucune pirogue des Ewodis n’a pris part à la compétition ; la pirogue Nkam-Nkam de Maurice Doube y était pourtant attendue. Nous avons plutôt vu des anciens pagayeurs de notre pirogue sortir des pirogues des Bassas et des Deidos, dans lesquelles ils ont été mélangés à des pagayeurs venus de loin tels que des Nigerians. La pirogue des Bassas l’a emporté, suivie par les Deidos puis les Jebalè
25 Août 1992 : Cérémonie de mise à l'eau publique.
Tibune des chefs traditionnels du "Ngondo"
25 Août 1992 : Une des tribunes populaires : comme il y a des décennies,
les femmes toutes habillées sont descendues dans l'eau pour
accueillir leur pirogue.
Première course Décembre 1992 : Première victoire.
Le "Ngondo" de Décembre 1992 : je brandis la coupe de
la première victoire...
AU STADE DE LA FABRICATION
Un moment de la fabrication consiste à mettre le feu dans le creux
du tronc d'arbre.
La réelle première mise à l'eau, le 05 Août
1992 : De nombreux bras sont nécessaires pour porter la pirogue
qui ne doit pas être traînée au sol.
Une "vue de côté" de l'ébauche, le jour de
l'action par le feu
Travail réussi : la pirogue flotte, bien équilibrée,
là où d'autres expériences du genre ont vu la première ébauche
se déséquilibrer dans l'eau et chavirer. Au contraire, ici
les gens ont pu courir débout sur les banquette
En toute confiance, j'ai pris ma place dans la pirogue,
pagaie en mains. Nous sommes le 05 Août 1992.
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