Jalons III ( Problèmes culturels )
Sur les folklores et la nouvelle culture
Sur la beauté des statuettes
De ce que nous venons de dire retenons que lorsqu' apparaît le folklore, un glissement de sens s'est effectué, soit qu'une catégorie de membres de la société juge en étrangers les signes et symboles d'identification d'une seconde catégorie, soit que les membres de ladite société se trouvent dans cette attitude vis-à-vis de leur identité première ; dans l'un ou l'autre cas, ce qui se passe, c'est que ce phénomène est contemporain d'un second phénomène, celui de l'apparition de nouveaux signes et symboles de reconnaissance, par référence auxquels les premiers sont jugés folkloriques.
Demandons-nous à présent ce qu'est la situation de notre pays dans le cadre de cette problématisation. L'on peut oser affirmer que pour la grande majorité de ceux qui vivent dans les campagnes et ne participent que peu ou pas du tout à la vie moderne, il n' y a pas de folklore. Ils vivent encore la relation immédiate et quasi irréflexive avec la Nature et un certain absolu. Ils continuent, s'ils sont des chasseurs, à effectuer une danse magique, invoquant le dieu de la chasse, autour d'un piège pour phacochère qu'ils viennent de tendre. La canne en ébène, couverte de signes et symboles apparemment ornementaux, continue de jouer un rôle magique entre leurs mains et ne se présente comme objet d'art qu'au regard d'un profane qui voudra, lui, l'exhiber dans un musée.
Dans cette optique, qu'importe la diversité des situations ? Qu'importe que chez les Bamouns ou les Bamilékés les signes et symboles de reconnaissance, les danses et autres manifestations de l'esprit soient différents de ce qu'ils sont chez les Bassas ou les Bétis ou les Peuhls ! Le fait important à souligner ici est que dans toutes ces situations la relation entre l'homme et la nature est immédiate et pré-réflexive. C'est la réflexion de cette relation dans la conscience qui crée la rupture, la scission à travers laquelle une vision du monde prend conscience d'elle-même et se juge, avec des références étrangères.
C'est précisément ce qui se passe pour tous ceux des Camerounais, vivant dans les cités modernes, qui ont perdu tout contact avec les us et coutumes des ancêtres. C'est pour nous que le folklore existe, nous qui avons perdu le fil d'Ariane conduisant à la compréhension des signes et symboles de la société traditionnelle, nous qui avons été initiés à d'autres signes et symboles à travers le long chemin de l'école moderne, à travers l'invasion dont nous sommes victimes de la part des valeurs et schémas de comportement importés d'un Extérieur englobant. C'est en effet le surgissement d'une culture porteuse de valeurs nouvelles qui a fait basculer dans le camp du folklore la culture de nos sociétés traditionnelles. Car ainsi que je l'ai déjà dit, quand les hommes vivent dans une culture, c'est-à-dire au fond dans un système qui permet de coder l'environnement, c'est-à-dire d'attribuer une valeur à chaque objet, le code leur apparaît comme une nature.
Et tant que ce code est comme une nature pour l'homme, il n' y a pas d'interrogation, il n' y a pas d'hésitation, chaque objet est institué, il a une fonction bien précise. On ne sait évidemment pas qu'on est dans un code, on croit être dans une nature. La crise apparaît quand cette matrice, le code, est brisé, cassé, quand il y a manque de code. On a affaire à une culture critique, une culture qui se juge et qui est au bord de la faillite pour ainsi dire, car elle n'a plus réponse à tout ! C'est à peu près la situation où se trouve aujourd'hui les cultures de nos sociétés ethniques et tribales. Et c'est pourquoi, jugeant ces cultures avec un regard extérieur plus ou moins angoissé nous les traitons comme des folklores, achevant ainsi leur cadavérisation./.
Jalons III ( Problèmes culturels)
Editions CLE, Yaoundé 1986
p. 24 - 25
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