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Extraits de quelques oeuvres

Jalons III ( Problèmes culturels )

 Sur les folklores et la nouvelle culture
 Sur la beauté des statuettes

SUR LES FOLKLORES ET LA NOUVELLE CULTURE : p. 24 - 25


De ce que nous venons de dire retenons que lorsqu' apparaît le folklore, un glissement de sens s'est effectué, soit qu'une catégorie de membres de la société juge en étrangers les signes et symboles d'identification d'une seconde catégorie, soit que les membres de ladite société se trouvent dans cette attitude vis-à-vis de leur identité première ; dans l'un ou l'autre cas, ce qui se passe, c'est que ce phénomène est contemporain d'un second phénomène, celui de l'apparition de nouveaux signes et symboles de reconnaissance, par référence auxquels les premiers sont jugés folkloriques.

Demandons-nous à présent ce qu'est la situation de notre pays dans le cadre de cette problématisation. L'on peut oser affirmer que pour la grande majorité de ceux qui vivent dans les campagnes et ne participent que peu ou pas du tout à la vie moderne, il n' y a pas de folklore. Ils vivent encore la relation immédiate et quasi irréflexive avec la Nature et un certain absolu. Ils continuent, s'ils sont des chasseurs, à effectuer une danse magique, invoquant le dieu de la chasse, autour d'un piège pour phacochère qu'ils viennent de tendre. La canne en ébène, couverte de signes et symboles apparemment ornementaux, continue de jouer un rôle magique entre leurs mains et ne se présente comme objet d'art qu'au regard d'un profane qui voudra, lui, l'exhiber dans un musée.

Dans cette optique, qu'importe la diversité des situations ? Qu'importe que chez les Bamouns ou les Bamilékés les signes et symboles de reconnaissance, les danses et autres manifestations de l'esprit soient différents de ce qu'ils sont chez les Bassas ou les Bétis ou les Peuhls ! Le fait important à souligner ici est que dans toutes ces situations la relation entre l'homme et la nature est immédiate et pré-réflexive. C'est la réflexion de cette relation dans la conscience qui crée la rupture, la scission à travers laquelle une vision du monde prend conscience d'elle-même et se juge, avec des références étrangères.

C'est précisément ce qui se passe pour tous ceux des Camerounais, vivant dans les cités modernes, qui ont perdu tout contact avec les us et coutumes des ancêtres. C'est pour nous que le folklore existe, nous qui avons perdu le fil d'Ariane conduisant à la compréhension des signes et symboles de la société traditionnelle, nous qui avons été initiés à d'autres signes et symboles à travers le long chemin de l'école moderne, à travers l'invasion dont nous sommes victimes de la part des valeurs et schémas de comportement importés d'un Extérieur englobant. C'est en effet le surgissement d'une culture porteuse de valeurs nouvelles qui a fait basculer dans le camp du folklore la culture de nos sociétés traditionnelles. Car ainsi que je l'ai déjà dit, quand les hommes vivent dans une culture, c'est-à-dire au fond dans un système qui permet de coder l'environnement, c'est-à-dire d'attribuer une valeur à chaque objet, le code leur apparaît comme une nature.

Et tant que ce code est comme une nature pour l'homme, il n' y a pas d'interrogation, il n' y a pas d'hésitation, chaque objet est institué, il a une fonction bien précise. On ne sait évidemment pas qu'on est dans un code, on croit être dans une nature. La crise apparaît quand cette matrice, le code, est brisé, cassé, quand il y a manque de code. On a affaire à une culture critique, une culture qui se juge et qui est au bord de la faillite pour ainsi dire, car elle n'a plus réponse à tout ! C'est à peu près la situation où se trouve aujourd'hui les cultures de nos sociétés ethniques et tribales. Et c'est pourquoi, jugeant ces cultures avec un regard extérieur plus ou moins angoissé nous les traitons comme des folklores, achevant ainsi leur cadavérisation./.

Jalons III ( Problèmes culturels)
Editions CLE, Yaoundé 1986
p. 24 - 25

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SUR LA BEAUTE DES STATUETTES : pp. 64 - 66

Quand nous considérons une statuette elle nous apparaît telle un être à part, unique en son genre. Cela peut sembler un truisme dans la mesure où on peut nous faire observer qu'il en est ainsi de toute création artistique, non seulement dans le monde négro-africain, mais aussi partout ailleurs. Une composition musicale, une toile particulière de maître sont des créations de cette sorte. Mais, en fait, pour les statuettes de l'art négro-africain, cette caractéristique est renforcée en ceci qu'elles figurent des êtres humains ( le chef, l'ancêtre, la mère et l'enfant, des cavaliers, des chasseurs, des femmes au travail, etc, etc.) ou des animaux. Il s'agit de représentations d'êtres qui possèdent une unité organique contribuant à leur conférer une personnalité propre. Représentation d'êtres ne veut point dire reproduction d'êtres ; les statuettes n'ont pas pour visée de reproduire quoi que ce soit. Elles sont elles-mêmes, c'est-à-dire des êtres indépendants pour un monde sans doute imaginaire, mais influant sur le monde réel. Elles pourraient par exemple porter un nom qui les personnaliserait. Il y a des statuettes de fécondité, des protectrices et des magiques, des statuettes réceptacles de l'esprit des ancêtres, etc, etc. On pourrait penser que toutes les statuettes de fécondité comportent un ventre proéminent de femme enceinte et on se tromperait. Il y a des statuettes protectrices présentant également un ventre enflé tout comme il y a des statuettes de fécondité sans ventre enflé, mais plutôt portant un bébé dans les bras. Si nous considérons les statuettes protectrices ou magiques nous observons qu'en pays bamiléké, elles présentent un ou plusieurs orifices destinés à recevoir des substances magiques. Ce trait souligne le côté pragmatique de la statuette qui la rapproche des ustensiles de la vie quotidienne dont nous avons dit que la beauté consistait en l'expression d'une plus grande manifestation de vie, produite par l'ornement et la décoration. Ainsi que nous l'avons écrit ci-dessus, la statuette est une individualité bien déterminée qui tient son existence d'un créateur qui est l'artiste-artisan. Celui-ci donne à la statuette son allure générale et sa présentation physique. La statuette peut être coquette parce qu'on lui a fait une petite toilette : tresses sur la tête, collier au cou ou bracelet aux poignets.La statuette peut être négligée : elle est alors toute dépouillée, nue, sans fard. Ce n'est pourtant pas, nous semble-t-il, dans cette différence de traitement qu'il faut chercher l'expression ou la non-expression de la beauté des statuettes. Le collier de liane ou de perles représente plus exactement un attribut de puissance tout comme les cavités ou les orifices pratiqués ici ou là pour recevoir des " médecines " et autres substances magiques. L'intérêt des statuettes réside dans la puissance investie en elles et dont l'homme peut se servir pour guérir, envoûter, enrichir, anéantir, protéger, etc, etc. De tout ce que nous avons dit sur la compréhension du beau dans l'art de la décoration, ce qui ressort de façon prédominante ici au niveau de la statuette c'est l 'expression de la puissance. Si, dans l'ornement et la décoration la puissance apparaît comme une résultante du supplément d'être et de la vitalité, dans la statuette tout commence avec l'affirmation et la recherche de la puissance. Mais s'agit-il de la puissance de la statuette ou plutôt de celle de l'homme qui possède la statuette, connaît son secret et sait l'utiliser ? Il arrive que l'homme du commun appréhende de toucher à une statuette de rituel ou à une statuette protectrice sans précautions particulières. Ces objets étaient donc considérés comme redoutables en eux-mêmes. Dans ces situations ils n'étaient même pas exposés à la vue de n'importe qui. Et celui qui pouvait les avoir à sa portée adoptait vis-à-vis d'eux une attitude révérencieuse quasi religieuse qui ne permettait justement pas de les observer froidement sous tous les angles. Et pourtant la véritable puissance revenait à l'utilisateur de la statuette, guérisseur ou prêtre d'un culte déterminé. Et dans ce cas, la statuette pourrait bien être ramenée au statut de la décoration par rapport à l'objet décoré, c'est-à-dire à celui de l'ingrédient, du supplément d'être qui vient augmenter la vitalité et la " puissance d'agir " de celui qui connaît son utilisation et qui peut en être le propriétaire. Mais si on peut affirmer qu'un siège est beau en tant qu'il exprime une certaine richesse à travers les motifs ornementaux qui lui ajoutent un supplément d'être, ce n'est plus la même chose qu'on dira du sorcier manipulant ses statuettes au cours d'un rituel de guérison par exemple. Le sorcier sera perçu immédiatement comme un homme puissant et peut-être même redoutable. N'est-ce pas le même rapport qui existe encore entre l'homme et la parure ? le bracelet porté au poignet ou le collier porté au cou peuvent être à la fois des parures et des attributs de puissance : c'est ce qui peut être fait des statuettes entrant dans la décoration d'une porte de case de chef ou d'un fronton de palais royal :elles peuvent être à la fois des ornements et des statuettes protectrices. Autrement dit, la statuette ne retrouve une fonction esthétique que lorsqu'elle entre dans une composition décorative. Mais il ne semble pas que, prise isolément, la statuette ait jamais eu à se soucier d'être belle./.

JALONS III (Problèmes culturels)
Editions CLE, Yaoundé 1986
pp ;64 - 66

 

 

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