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Extraits de quelques oeuvres

Autobiographie intellectuelle( L’Aspiration à être)

 Sur l’ethnophilosophie

SUR l'ETHNOPHILOSOPHIE pp.31-34

L'africanisme d'auto-complaisance en était venu à s'emparer aussi de la philosophie. On a vu des philosophes formés dans des universités occidentales se convertir à l'ethnologie en continuant de prétendre faire des recherches en philosophie. A travers les cosmologies et les mythologies reconstituées, ils cherchaient la trace d'une pensée, d'une métaphysique authentiquement africaine. La plupart de ces travaux étaient des sujets de thèses en vue de l'obtention du grade de docteur. Leurs auteurs étaient préoccupés d'une seule chose, donner la preuve que l'Afrique possédait bel et bien une tradition philosophique. Ils n'acceptaient pas que Heidegger ait pu écrire et affirmer que la philosophie était d'essence gréco-occidentale. Je pense par exemple aux travaux tels ceux de Makarakiza : La dialectique des Burundis, Bruxelles, 1959 ; de Alexis Kagame : La philosophie Bantu-Rwandaise de l'Etre, Bruxelles, 1956 ;de François Marie Lufuluabo : La notion luba-bantoue de l'Etre, Tournay, 1964 ; de Basile Juléat Fouda :La philosophie négro-africaine de l'existence, Lille, 1967 et de nombreux autres encore.*

Je crois que ce qui avait suscité la plus vive réaction de ma part c'était d'apprendre, lors du colloque organisé dans le cadre du Festival des Arts Nègres en Janvier 1977 à Lagos, que certains de ces chercheurs africanistes s'étaient très rapidement mis à enseigner les visions de monde qu'ils avaient collectées sous le label de philosophie africaine, sans que les résultats de leurs recherches aient préalablement donné lieu à discussion élargie par des spécialistes venant de divers horizons et dans le cadre des colloques ou des conférences. C'était aller trop vite en besogne, à mon avis. J'appartiens au groupe informel de ceux qui ont dénoncé cette " ethnophilosophie " caractérisée par la description des us et coutumes, la présentation non critique des conceptions et représentations d'une tradition philosophique africaine, privée de tout caractère réflexif. Le livre de Paulin Hountondji : Sur la Philosophie africaine, paru en 1976 aux éditions Maspero, a fort bien présenté cet aspect de la question. Quand, par la suite, Hountondji parle de l'effet Tempels, il n'a que trop raison. Je crois aussi en effet que le livre du Révérend Père Placide Tempels, La Philosophie bantoue ** dont la troisième édition parut aux éditions Présence Africaine en 1949 à Paris, aura agi comme un facteur libérateur ayant eu comme effet d'encourager les jeunes chercheurs africains dans leur entreprise de " défense et illustration " du passé culturel et traditionnel africain. Tout cela dans un contexte global comprenant entre autres le mouvement de la Négritude lancé par Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor, celui promouvant le panafricanisme au début du siècle, et aussi la revendication déjà fort avancée dans certains pays africains de l'indépendance nationale.

La tradition philosophique telle qu'elle nous vient de la Grèce Antique, se présente comme une discipline intellectuelle possédant sa méthode propre. Il n'y a pas de quoi nourrir un complexe quelconque à cet égard. Ce serait comme si, par rapport à la science et à la technologie dites occidentales, l'Afrique se mettait aussi en devoir de faire état d'une spécificité particulière. Que n'a-t-on pas produit de l'ethno- science et de l'ethno- technologie ? Il existe bien évidemment, dans l'Histoire des civilisations, des témoins de la créativité des peuples en matière de technologie ; des encyclopédies spécialisées racontent l'évolution linéaire des sciences et des technologies. Il est significatif de constater qu'en cette matière, l'Afrique n'a pas cherché à affirmer une quelconque originalité. Certains de ses fils se sont plutôt préoccupés de chercher à expliquer le retard scientifique, entre autres retards, accusé par notre continent.

J'avais étonné plus d'un en écrivant dans " Sagesse des proverbes et développement ", un texte inclus dans Jalons II, qu'il n'y a pas de philosophie dans les proverbes. En effet, ceux qui se sont livrés à l'exercice consistant à dégager du passé culturel africain une philosophie, ont cru devoir s'appuyer parfois sur la collection de proverbes et autres doctrines populaires auxquels ils pouvaient accéder. Ils pensaient que cela pouvait avoir le même statut que Les Caractères de La Bruyère ou encore Les Maximes de La Rochefoucauld. C'est un avis que je n'ai pas partagé. En effet, autant l'ensemble des Maximes de La Rochefoucauld bénéficiaient d'une unité de conception, d'inspiration, d'observation et de réflexion garantie par l'unicité de leur auteur, autant les proverbes et dictons populaires manquent de cette unité, l'origine des uns et des autres se perdant dans l'anonymat et la nuit des temps. Il arrive que les dictons populaires se contredisent. Mais ce n'est pas ce qui, fondamentalement, m'a poussé à dire que les proverbes n'ont pas nécessairement une valeur philosophique. La contradiction trouve pleinement sa place dans la confrontation des idées et des argumentations. Par contre, la philosophie est absente de tout énoncé essentiellement et exclusivement descriptif, même sil a l'allure d'un aphorisme, d'une affirmation catégorique. Les proverbes parlent à l'indicatif : " Tel père tel fils ", " Tous les chemins mènent à Rome ", " Seules les montagnes ne se rencontrent pas ", etc, etc. Ces énoncés ressemblent à des formulations de conclusions hâtives n'ayant pas attendu un examen plus complet, parce que contradictoire, des questions concernées. C'est pour cela et d'autres raisons encore que j'avais dit que " le savoir proverbial, pour cette raison qu'il ne s'occupe pas de la démarche fondatrice, n'a rien de philosophique ".Mon affirmation ne ferme cependant pas la porte à toute initiative de réflexion qui partirait de tel ou tel proverbe. L'erreur, à mon sens, consisterait à traiter la vérité contenue dans l' énoncé proverbial comme résultant d'une analyse rationnelle. Il n'y a aucune analyse dans le proverbe ; il n'y a que l'observation et le constat. La vérité proverbiale est certes un jugement, mais un jugement de réalité. C'est pourquoi je dis que le proverbe se contente de décrire. Le véritable travail philosophique devrait commencer postérieurement à la description et ne saurait s'y arrêter./.

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*Il faut faire remarquer ici, au sujet de l'ethnophilosophie, que les antrhopologues Français, par exemple, qui sont partis de la philosophie après l'étape de l'agrégation de philosophie, se sont toujours clairement positionnés en tant qu'ethnologues ou anthropologues qu'ils ont choisi de devenir et ne se retrouvaient plus dans les unités d'enseignement et de recherche de philosophie proprement dite. Je peux me permettre de citer le cas de Philippe Laburthe Tolra, auteur de plusieurs travaux d'anthropologie consacrés aux bétis du Cameroun. L'erreur des Africains consistait à vouloir dispenser des enseignements de philosophie dans des départements de philosophie et ce, à partir de leurs travaux d'ethnologie.

** Si ce livre est considéré comme ayant encouragé les Africains à se consacrer aux études africanistes et ethnophilosophiques, je ne le considère pas, quant à moi, comme un écrit ethnophilosophique. Au contraire, le révérend Père Tempels a organisé son observation de la vie africaine de telle sorte qu'il lui a donné une structure et une présentation conceptuelle philosophiquement défendable. C'est bien loin d'être une description de réalités se donnant à voir à l'œil nu. Cela n'en a rendu sa critique que plus facile et plus rationnelle. Je pense par exemple à l'article de Eboussi Boulaga paru dans un lointain numéro de la revue Présence Africaine des années 60.

 

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