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Conference philosophique

Conference Culture et éducation

Thème : Sciences en français, vie et société en Afrique : Quelles    espérances pour l’Université africaine et le développement


         Mesdames et  Messieurs,
         Chers Collègues,

Permettez-moi de commencer par remercier Monsieur le Professeur Alain Ondoua, Directeur Régional du Bureau Afrique Centrale et Grands Lacs, de m’avoir invité à prononcer la conférence inaugurale de cette grande Conférence thématique qui regroupe les bureaux régionaux d’Afrique Centrale et des Grands Lacs, d’Afrique de l’Ouest et de l’Océan Indien.
         Je dispose de Trente minutes pour dire un mot sur les sciences, la vie et la société en Afrique, avec pour interrogation sous-jacente : quelles espérances pour l’université africaine et le développement ?
         Mesdames et Messieurs, Chers collègues,
Quatre protagonistes sont concernés par l’activité scientifique : le producteur du savoir scientifique qui peut être un chercheur individuel, ou membre d’une équipe dans un laboratoire d’un institut de recherche ou d’une université. Il y a ensuite les techniciens de la mise en œuvre ou de la mise en application des découvertes scientifiques encore appelées les résultats des travaux de recherche. Le troisième intervenant dans le secteur est l’industriel homme d’affaires, qui fait étudier le marché sur lequel faire écouler éventuellement le produit, pour ensuite chercher le financement de cette production. En fait, ce troisième intervenant se dédouble donc en commerçant et en financier. Le financier peut aussi être envisagé de façon indépendante sous l’identité de banquier prêteur ou sous l’identité institutionnelle d’une organisation étatique, intergouvernementale ou entièrement privée.
         Le quatrième protagoniste, si je peux l’appeler ainsi, se trouve être la masse des consommateurs et des acheteurs. Une masse des consommateurs qui s’identifie à la société ; des membres d’une société qui, dans leur très grande majorité, sont coupés du savoir ou des savoirs qui se situent en amont de la création des produits qu’ils tiennent dans leurs mains et qu’ils utilisent. La masse des consommateurs qui demeurent ignorants des lois et formules mathématiques mises en application pour la fabrication du téléphone portable ou du poste de télévision dont ils se servent.
Le problème de la fracture entre les détenteurs des savoirs scientifiques et le peuple.
         Des quatre ou cinq protagonistes dont je viens de parler (en effet si on sépare l’industriel-homme d’affaires du financier –investisseur, il y aurait plutôt cinq que quatre intervenants), il apparaît au premier coup d’œil que la catégorie de la masse des consommateurs est celle qui donne son sens et toute sa justification à tous les programmes de développement économique, social et culturel.
         L’impression demeure néanmoins que même si la science et la technique ont déjà énormément fait et continueront de beaucoup faire en faveur de l’amélioration de la condition de l’homme, la grande majorité des populations demeurent des sortes d’analphabètes d’une nouvelle espèce, avec ce que cela suppose de déficit culturel.
         S’il est vrai que ce déficit atteint les consommateurs des sociétés, tant des pays en voie de développement que ceux des pays développés, le fait est que la situation est plus préoccupante pour la masse des consommateurs de la société africaine en général.
         Là où le niveau de la culture moyenne de la population est élevé, comme dans les pays développés, l’attitude de l’utilisateur d’un poste de télévision ou d’un téléphone portable à l’égard de son appareil n’est pas faite de renonciation devant le « mystère » ! Il sait que tout s’explique scientifiquement, même si lui-même ne détient pas cette explication. Il sait que s’il le désire, il peut toujours se faire expliquer le fonctionnement des choses.
         Dans le contexte africain par contre, la mentalité magique entretenue par des recours plus ou moins quotidiens aux marabouts et autres sorciers, les performances de la techno-science sont perçues et désignées par l’homme de la rue comme étant de la « sorcellerie des Blancs ». C’est une vision des choses dont l’un des effets négatifs consiste à détourner de tout désir de chercher à comprendre et à s’expliquer le fonctionnement des choses.
         Comment aborde-t-on souvent cette question quand on reste en Afrique ? C’est en termes d’insuffisance de diffusion des savoirs scientifiques auprès des masses. On déplore le peu de communication qui existe entre le producteur des savoirs scientifiques et les populations, les masses consommatrices et utilisatrices aveugles des objets produits par la techno-science. En mettant l’accent sur le fait de la non-diffusion des savoirs scientifiques auprès des masses populaires, de quoi parle-t-on en réalité ? Il ne peut pas s’agir de la communication des résultats brevetés de telle ou telle recherche ! Les brevets font l’objet de contrats précis d’exploitation ! (Je vais en reparler).Peut-il davantage s’agir de connaissances de base, semblables à celles dispensées dans le cadre de la formation scolaire et universitaire ? Certainement pas. Les populations qui sont privées de contacts avec les chercheurs et autres inventeurs ne peuvent pas être traitées comme des « apprenants » au même titre que des lycéens ou des étudiants.
         En fait de vulgarisation, serait-il donc plutôt question de la diffusion d’informations dont certaines prennent la forme de conseils, de conduites à tenir dans des situations précises, de comportements à éviter, etc. ? Si tel est le cas, il y aurait fort à parier que l’Africain traiterait ces informations reçues comme des conseils pratiques, autrement dit, comme il traite les autres objets techniques, c’est-à-dire sans se préoccuper particulièrement de chercher à comprendre le mécanisme qui fonde l’efficience du conseil ou de l’information qui seront mis en application comme on le fait de la directive ou de la prescription du marabout ou du guérisseur.
         Culture scientifique et esprit scientifique
Ce que je veux dire est que le véritable problème, en ce qui concerne le consommateur africain de la recherche scientifique n’est pas tant celui du non-accès aux savoirs scientifiques que celui du bas niveau de la culture scientifique. La culture scientifique c’est ce qui manque le plus, mais qu’est-ce que c’est exactement ?Ce n’est pas, à notre avis, la culture au sens symbolique de « tête bien pleine », sous-entendu pleine de connaissances scientifiques, mais la culture entendue quelque peu au sens de « tête bien faite » !Et, par l’expression symbolique de « tête bien faite » je pense plus précisément à la caractéristique de l’esprit scientifique. L’esprit scientifique est fait tout d’abord d’une curiosité en éveil dans toutes les circonstances. Curiosité qui pousse à poser ou à se poser souvent la question du « comment », si ce n‘est celle du « pourquoi » qui est plus philosophique. L’esprit scientifique est fait du souci d’objectivité par lequel on évite de mêler sa propre subjectivité dans la compréhension des phénomènes. L’esprit scientifique est encore fait du sens de la rigueur et de la précision. Il rejette l’a-peu- près et l’incohérence. Bref, l’esprit scientifique c’est l’esprit rationnel.
         Or, que donne à observer la société africaine à cet égard ? Bien que nous le sachions tous, voici une bonne occasion pour l’évoquer. L’actualité récente a été faite d’incendies à répétition des marchés dans diverses villes du Cameroun ; leur cause ? Des installations ne respectant pas les normes de calibrage des câbles et des fils électriques à utiliser. L’actualité récente encore au Cameroun a été faite d’effondrements de bâtiments de plusieurs étages pour non respect, là aussi, des normes de matériaux utilisés (mauvais dosage de ciment et de sable, diamètres non conformes des fers à béton utilisés etc.).
         Je m’arrête à ces deux exemples pour constater que ce qui est en jeu ici, ce n’est pas la non-possession des connaissances scientifiques et techniques ; ingénieurs et techniciens à l’œuvre possèdent les connaissances requises. Mais quelque part, dans leur esprit, à moins que ce soit dans le seul esprit des maîtres d’œuvre, une insuffisance de rigueur alliée à une volonté mal placée de réaliser des économies viennent faire échec à la rigueur de l’esprit scientifique. Et quand la catastrophe se produit, on invoque la malchance ! La même malchance qu’invoquent aussi les accidentés de la circulation routière qui n’ont prêté aucune attention aux pneus archi-lisses ou au système de freinage non révisé, malgré la signalisation électronique  de leurs véhicules! Que dire du non-respect des termes des contrats pourtant dûment signés ? Tout ce qui contraint n’est accepté que du bout des lèvres. Les délais de livraison des travaux sont rarement tenus !
         Bref, la culture ambiante qui se donne à observer dans la société africaine (des villes comme des campagnes) demeure fortement marquée par une grande absence de l’esprit scientifique. Tout à fait à l’opposé de ce que nous avons rappelé comme étant des caractéristiques de l’esprit scientifique, on trouve encore ici l’extrême complaisance avec « l’à-peu près » et l’approximatif, le recours à l’irrationnel, l’insuffisance de rigueur et le fatalisme.
         Ce qui précède me conduit à dire que les programmes qui envisagent la question qui nous préoccupe essentiellement sous l’angle de la vulgarisation et de la diffusion des savoirs scientifiques me semblent laisser de côté la question de la promotion de l’esprit scientifique, qu’il faut distinguer de la culture scientifique, entendue au sens de la plus grande extension des connaissances qui rappelle quelque peu la connaissance livresque. Parce qu’en Afrique encore, il coexiste chez bon nombre de lettrés, nous voulons dire des personnes cultivées en général, des connaissances plus ou moins scientifiques et des comportements peu rationnels.
         La promotion de la culture scientifique
         Poussons à présent notre analyse en direction de l’examen d’un programme concret de promotion de la culture scientifique et technique. Il va s’agir du PCST (Promotion de la culture scientifique) programme mis en œuvre au sein de l’Institut français pour la recherche et le développement, l’IRD) par le Ministère français des Affaires Etrangères et Européennes depuis 2003.

Quel est le problème que le PCST cherche à résoudre ?

C’est le problème du « double constat de la fracture scientifique et technologique qui touche les pays du Sud et en particulier l’Afrique ». Il y a double facture en ce qui concerne le fossé scientifique qui sépare les pays développés et les pays en voie de développement d’un côté et, d’un autre côté, à l’intérieur même des pays du Sud ( et de l’Afrique en particulier), la fracture entre les producteurs des savoirs scientifiques et les populations ;

Quel est l’objectif principal visé ?

L’objectif principal visé consiste à réduire la double fracture et à réaliser en particulier une meilleure diffusion des savoirs scientifiques et techniques. En parcourant les sites Internet du PCST on découvre des objectifs pratiques particuliers tels que l’amélioration de la santé, la protection de l’environnement, la lutte contre la pauvreté, le planning familial, la nutrition, l’excision.

Quels sont les moyens utilisés ?

Ce sont : - Des expositions sur la biodiversité ou les ressources en eau

  1. Des caravanes des sciences encore appelées « Fêtes des sciences » (expériences du Maroc, du Sénégal et du Burkina Faso
  2. Des émissions scientifiques sur l’environnement ou la santé des jeunes
  3. Des pièces de théâtre sensibilisant aux moyens de prévention contre le paludisme, le sida ou la tuberculose
  4. Quelles populations cibles sont visées ?

En réalité, c’est un peu tout le monde, même si tout le monde n’est pas invité à participer à tous les programmes. Il y a des programmes qui intéressent davantage les jeunes et d’autres programmes qui intéressent des adultes plus ou moins alphabétisés.
         L’intérêt marqué par le PCST pour les problèmes pratiques tels que ceux de santé, d’environnement, de nutrition, d’excision et bien d’autres encore est fort justifié. Il oriente néanmoins l’attention des bénéficiaires, non pas de manière directe vers l’acquisition de l’esprit scientifique mais plutôt vers des solutions et des recettes pratiques qui revêtent la forme des informations utiles, bref des sortes de produits faisant penser aux objets de la technoscience.
         Un Exemple : Un projet de santé a été conduit au Gabon en janvier 1999, et qui avait pour objectif d’identifier les réservoirs et les lignées génétiques des virus ebola et Marburg : ce projet a permis d’établir que «  Les fièvres hémorragiques foudroyantes sont causées par des virus de la famille des filoviridae. Hébergés par des chauve-souris frugivores puis transmis à l’homme, ces virus sont à l’origine des épidémies meurtrières. Mieux connaître leurs réservoirs naturels et leurs modalités de transmission à l’homme et comprendre les mécanismes évolutifs de leur génome sont des enjeux majeurs pour protéger les populations et développer des vaccins ».
         L’exploitation du résultat de la recherche dans le cadre de ce projet comme dans d’autres du même genre, aura conduit les diffuseurs des connaissances scientifiques à prévenir les populations de ce qu’elles ne devraient plus consommer les fruits des arbres fréquentés par des chauve-souris qui sont porteurs des virus d’ebola. Et c’est bien ce qui est assimilable par tout le monde et que je considére comme étant comparable à l’objet de la technoscience dont on ne cherche pas à comprendre le processus de fabrication, son utilisation étant immédiate.
         Comment oublier que nous évoluons en Afrique dans un environnement mental qui « autorise » encore un grand nombre de personnes à croire que des maladies comme le sida, le cancer, voire la fièvre ebola avec ses aspects foudroyants, peuvent découler d’une action maléfique de sorcier. Dans cette logique, l’information ou le conseil sont reçus  comme s’ils étaient des sortes de « gris-gris »
En parcourant les synthèses du séminaire PCST de 2006 à Ouagadougou, et s’agissant du point portant sur la culture scientifique face aux carences du système scolaire, on découvre que le rapport fait état du faible effectif des enseignants en sciences, du manque de documentation scientifique à la portée des élèves, du manque d’établissements purement scientifiques, du manque d’approches expérimentales. Tout en reconnaissant le bien- fondé de ces constats et observations déclinés en termes de manques de ceci ou de cela, il y aurait lieu de changer le fusil d’épaule et de s’atteler à regrouper ce qu’on possède, ce qui est disponible, pour en tirer le maximum réalisable. En disant cela je pense à la possibilité de regrouper les meilleurs profils d’enseignants scientifiques dans des établissements pilotes devant bénéficier des équipements de laboratoires nécessaires et suffisants pour leur permettre de jouer le rôle de locomotives pour tout ce qui pourrait être construit par la suite. Je pense à des établissements d’excellence dont il vaudrait mieux se doter, malgré leur petit nombre, plutôt que de se donner bonne conscience démocratique en multipliant des établissements qui ne manqueront peut-être pas de tout, mais de l’optimum pour faire du bon travail.
Des établissements pilotes au sein desquels on fera développer le sens de la maintenance des équipements et des bâtiments. Car en effet, ici et là souvent en Afrique, des laboratoires se construisent et se font équiper, mais oublient de se faire entretenir. Au bout d’un temps très court, les appareils sont grippés, s’ils ne sont pas cassés, expression d’un déficit plus grave que celui du manque de documentation, le déficit d’esprit rigoureux caractéristique de l’esprit scientifique qui est aussi synonyme d’esprit soigneux.
A Ouagadougou en 2006 encore, la synthèse des discussions sur la valorisation de la recherche révèle qu’il a été davantage question du souci que devraient avoir des chercheurs de mettre leurs connaissances au service des populations. J’y ai trouvé la phrase suivante : « La transmission des savoirs issus de la recherche doit s’effectuer pour le bénéfice des populations, dans une perspective de développement » Et, comme pour abonder dans ce sens, un participant illustre sa pensée en précisant : «  Dans mon village, ils ne maîtrisent même pas la poulie ».
En disant cela, ce participant ne parlait pas de la valorisation des résultats de la recherche mais plutôt de la diffusion des connaissances scientifiques. Car on ne peut pas parler de la valorisation des résultats de la recherche en n’ayant en vue que l’utilisation individuelle des connaissances scientifiques et sans la perspective de l’industrialisation grâce à laquelle on franchit le pas vers un véritable développement.
La valorisation des résultats de la recherche par la production industrielle, facteur de développement
Il existe une autre échelle dans le développement de la culture scientifique auprès des populations africaines qui s’appelle la promotion de l’industrie locale par la valorisation des résultats de la recherche scientifique. Il ne saurait être question d’attendre que soit comblé un jour le fossé qui sépare l’élite productrice des savoirs et inventions scientifiques des nombreuses populations qui sont en manque de ces connaissances, avant qu’on envisage de créer de véritables et authentiques industries sur le sol africain.
Tant que les consommateurs africains continuent de consommer majoritairement des produits industriels de toutes sortes en provenance des pays développés, parce que industrialisés, le complexe vis-à-vis de « la sorcellerie du Blanc » continuera de jouer et de laisser l’impression que les résultats des recherches menées sur leur propre sol africain par des élites africaines, sont de peu de valeur. A quoi cela servirait-il à la longue, de conduire des recherches sur le sol africain si les résultats de ces recherches n’intéressent pas les industriels ni les entreprises d’Afrique ? Les savoirs scientifiques sont-ils ceux-là seuls produits par des chercheurs des instituts et des laboratoires des pays développés ? Les Africains, surtout la jeunesse africaine, sont en droit d’espérer que le nom de plusieurs de leurs frères de terroirs soit collé à des inventions et des procédés reconnus universellement et exploités pour le bien des Africains et du reste de l’humanité. La science en français a produit, entre autres, Roland Moreno qui, en 1974, très près de nous a inventé la carte à puces, en 1849 Joseph Monier inventa le béton armé ; en 1831 Charles Sauria invente les allumettes phosphorescentes à friction ; en 1810 Nicolas Appert réalise les premières conserves alimentaires. Les Africains doivent mettre au monde leurs Louis Pasteur  et leur Roland Moreno. Non seulement les fondations de la science dans l’esprit des Africains deviendront inébranlables, mais encore le développement global de l’Afrique aura pris un virage décisif.
         Mais en attendant ce jour, que deviennent donc les résultats des recherches de nos universités, de nos instituts de recherche implantés sur le sol africain ? Leur valorisation serait de nature à promouvoir l’intérêt populaire pour la science en même temps qu’elle servirait le développement.
         De 1962 à 2004, 126 brevets d’invention ont été déposés à l’OAPI. Mais combien ont donné lieu à une valorisation industrielle ? C’est le lieu de rappeler les objectifs assignés à cet organisme à sa création. Au nombre de ces objectifs on peut citer les suivants : L’Organisation Africaine de la Protection industrielle (OAPI) doit :

  1. Encourager la créativité et le transfert des technologies par l’utilisation des systèmes de propriété industrielle
  2. Créer des conditions favorables à la revalorisation des résultats de la recherche et à l’exploitation des innovations technologiques par les entreprises nationales
  3. Favoriser la création d’entreprises innovantes (PME/PMI) par l’exploitation des inventions et des innovations africaines
  4. Amener l’OAPI à jouer un rôle d’interface entre les détenteurs de brevets d’innovation et les entreprises industrielles.

Je crois savoir que l’OAPI tente de jouer son rôle. Assisté par l’IRD (L’institut français pour la recherche et le développement), l’OAPI a organisé le 2 novembre 2010 à Douala un forum de sensibilisation des entreprises autour du thème : «  La propriété industrielle et l’exploitation des résultats de la recherche en Afrique, suivi d’une présentation d’offres technologiques ».Le constat fait par le Directeur de l’OAPI est loin d’être édifiant. IL s’est étonné que «  nos entreprises n’aient pas encore pris la mesure de l’intérêt que représente la propriété intellectuelle. Au Cameroun, a-t-il conclu, la propriété intellectuelle ne fait pas encore courir les créateurs de richesses. Beaucoup ignorent encore que les entreprises qui réussissent sont celles qui investissent dans les activités de recherche-développement, dans l’innovation technologique ».
         Ici, l’OAPI tente de jouer le rôle que jouent les centres de compétences dans les pays développés, à savoir le rôle de relai entre les fournisseurs des résultats de recherches d’un côté (laboratoires, universités et autres instituts de recherche) et les demandeurs des dits résultats pour valorisation économique et exploitation industrielle, c’est-à-dire les entreprises.
         Dans ce contexte, les entreprises s’arrangent à se doter de compétences scientifiques propres et capables de servir d’interlocuteurs de ceux qui proposent des offres. Outre cela les gouvernements eux-mêmes encouragent les entreprises à faire de la recherche-développement. Je me souviens qu’en 2008, le ministère français de l’Agriculture avait lancé un « Appel à projets » intitulé «  Docteurs en entreprises ». Doté de 400 000 euros, cet Appel était destiné à renforcer l’innovation dans les entreprise en encourageant le recrutement des chercheurs pour les entreprises en vue de transférer vers l’industrie des résultats de la recherche ; et en vue surtout de stimuler la croissance.
         Si je reviens dans le contexte africain, ce sera pour dire dans quelles directions il serait souhaitable d’orienter, non seulement nos préoccupations, mais également nos actions.. L’OAPI a les missions que j’ai rappelées en direction des entreprises ; il devrait s’agir, pour cet organisme, d’organiser de manière plus systématique le genre de sensibilisation tentée dans le cadre du Forum de Novembre 2010 à Douala, en association avec l’IRD. Et je me demande si quelque disposition précise empêcherait les universités de s’intéresser utilement à jouer également ce rôle d’interface entre les détenteurs de brevets d’invention et les entreprises.
         Il s’agit, en second lieu, de dire que les gouvernements africains eux-mêmes se doivent de stimuler les entreprises dans la direction qui leur fait découvrir tout ce qu’elles peuvent tirer de l’OAPI, aidé par le FAPI ( Fonds d’Aide à la Promotion de l’innovation).
         Mais ce à quoi les populations ont droit de temps en temps, ce sont ces expositions et ces caravanes scientifiques dont j’ai déjà fait état. Au Cameroun, on les appelées «  Journées Technologiques Nationales ». Les toutes dernières organisées se sont tenues du 7 au 8  Octobre 2008. Cette sorte de foire est une occasion donnée aux chercheurs pour exposer des résultats de leurs recherches. Les Journées technologiques nationales de 2008 ont permis de découvrir, entre autres, les résultats des recherches de deux chercheurs individuels, l’un dans le domaine de la pharmacopée, le second dans le domaine des énergies renouvelables. L’ethno-Api-thérapeute (Alain Didier Fotso), tel qu’il se fait appeler, a mis au point un médicament qu’il appelle « Amidia 1er qui est l’un de ses produits phares. Il s’agit d’une poudre supposée soigner le diabète en agissant sur les causes premières de cette maladie. Amidia 1er lutte contre l’incapacité du foie à réguler normalement le taux du sucre dans le sang. Le médicament est une poudre concoctée à partir des feuilles et de l’écorce d’un arbre. L‘inventeur garde secrète l’identité de cet arbre, de peur de se faire voler son invention.
         Toujours est-il que ce chercheur individuel ne s’est pas engagé dans le processus administratif qui conduit à l’obtention d’un brevet d’invention, au motif que ce processus est long et coûteux pour les bourses africaines.
         Si le processus est coûteux pour les chercheurs individuels, notamment ceux qui travaillent dans le domaine de l’ethno-botanique, on ne peut pas dire que les institutions que sont les  universités, les instituts de recherche tel que l’Institut des plantes médicinales, soient incapables de faire face à ces dépenses. Encore faut-il qu’ils justifient de résultats de recherches convaincants.
         Il faut aider à la création des entreprises innovantes dans les pays africains, par l’exploitation des inventions et innovations africaines. A cet égard, il y aurait lieu de jeter u coup d’œil évaluatif sur l’exploitation du Fonds d’Aide à la promotion de l’innovation ( le FAPI) dont les missions se confondent avec celles de l’OAPI à savoir, entre autres, aider à la création des entreprises innovantes dans les Etats Membres.
         Que peuvent l’AUF et les Universités ?
Parmi les objectifs stratégiques contenus dans la programmation quadriennale de l’Agence Universitaire de la Francophonie, on trouve l’objectif de faire émerger une génération d’enseignants, de chercheurs, d’experts professionnels, tous acteurs du développement. Voilà un objectif stratégique par lequel l’Agence pourrait viser à aider à la constitution de quelques centres de recherche d’excellence, à identifier dans des universités de chacune des régions couvertes. Je pense à des centres d’excellence dont les projets de recherche seraient de préférence des projets d’équipes dont les termes de référence seraient définis en rapport direct avec les demandes de solutions de problèmes liés au développement.
         L’action de l’AUF se situe d’emblée au niveau de l’élite, à savoir le niveau des producteurs des savoirs scientifiques que sont les universités et les instituts de recherche. Quand on dit des universités qu’elles sont coupées des populations par rapport à la non-diffusion de leurs connaissances, je ne pense pas que l’AUF et les universités devraient entretenir un quelconque complexe de culpabilité à ce sujet.
         Je crois que le reproche qui pourrait avec raison troubler l’esprit des élites du savoir scientifique est celui qui concerne la quasi-totale invisibilité des résultats de leurs recherches au niveau des progrès espérés dans l’amélioration des conditions quotidiennes de vie des populations, autrement dit dans le développement.
         Dans quels secteurs l’AUF pourrait-elle s’investir prioritairement ? Il y a d’abord le secteur de la recherche/santé. Il a été plusieurs fois évoqué la nécessité de constituer des équipes de recherche intégrant des thérapeutes traditionalistes, encore appelés « tradipraticiens. Le fait que ces tradipraticiens aient préféré souvent travailler seuls, et sans méthode scientifique avérée, n’a jamais permis d’exploiter  de façon satisfaisante leurs connaissances d’herboristes et de guérisseurs.
         Il y a ici un défi à relever, notamment celui qui concerne l’élimination de la peur qu’ils éprouvent de se faire rouler s’ils révèlent leurs secrets.
         Le second domaine qui mérite de continuer de bénéficier de l’attention de tous, est celui de l’agronomie et de l’agro-alimentaire. La recherche agronomique est l’une de celles qui semblent bien marcher en Afrique. Mais il ne me semble pas avoir entendu parler de la brevetisation des résultats de recherche que ce soit dans ce domaine.
                           

Conclusion

         Que dire en conclusion ? La science se pratique pour servir les besoins de l’homme en société. Il fut un temps où elle se confinait dans la tour d’ivoire des savants ; depuis longtemps déjà, elle est sortie de sa tour d’ivoire pour s’appeler technoscoience, démultiplicatrice du pouvoir d’action de l’homme sur son environnement. Une grosse impression demeure qu’en Afrique, la science n’est pas tout à fait sortie de sa tour d’ivoire . C’est ce que j’ai rappelé en évoquant la question de la fracture entre les élites détentrices des savoirs scientifiques et les populations maintenues dans une relative ignorance.
         Je me suis interrogé longuement quant à savoir s’il fallait concentrer tous les efforts sur la réduction de ce fossé, et continuer à remettre à plus tard le franchissement du rubicon devant conduire cette élite à faire ce qu’elle n’a pu faire que très insuffisamment jusqu’à présent, à savoir, valoriser les résultats de leurs recherches par leur brevetisation susceptible de conduire à la création d’entreprises innovantes. Et quand je parle des élites détentrices des savoirs scientifiques, je pense identiquement aux élites de la finance et de l’économie, qui constituent les autres protagonistes de l’activité scientifique.
         J’ai répondu que la culture scientifique et l’esprit scientifique que de nombreux projets tentent d’amener à supplanter le relatif obscurantisme de la superstition et du fatalisme, devraient trouver de meilleurs diffuseurs à travers la promotion de l’image de l’inventeur africain dont le nom devra se multiplier et se voir collé à des résultats pratiques précis.
         Je suis persuadé que la science et la culture scientifique gagneront une grande place en terre africaine, au niveau de la masse des consommateurs, lorsque le nom des ingénieurs africains, des urbanistes africains, des physiciens, chimistes et autres biologistes  auront acquis une notoriété grâce à leur association à des réalisations et à des découvertes qu’ils auront offertes à leur pays et à l’humanité.
         C’est pour dire que jusqu’ici, les universités en Afrique, institutions dépendant des fonctions publiques nationales pour la plupart, n’ont connu jusque là que des chercheurs fonctionnaires. Des chercheurs faisant carrière et publiant le plus souvent dans l’optique de leur avancement dans le grade. Des chercheurs rarement sollicités pour des projets ayant un rapport avec les demandes sociales.
         Pour que la recherche s’ordonne autour des projets bien articulés sur la demande de développement, il faut qu’elle bénéficie d’un financement conséquent sur la base des termes de référence permettant l’évaluation dans les délais prescrits. Or, les universités en Afrique ne bénéficient pas de budgets de recherche conséquents.
         C’est pour cela qu’il faut saluer la décision de l’AUF, dans le cadre de sa programmation quadriennale, d’accorder une place centrale à l’idée de projet. J’imagine qu’il sera demandé aux équipes dont les projets auront été agréés, de s’engager à présenter leurs résultats dans des délais contractuels bien déterminés, moyennant quoi les dotations financières leur seraient débloquées.
         Ce n’est qu’à ce prix que la recherche scientifique conduite par les universités pourra effectivement servir le développement. Je n’imagine pas que dans cette logique, les universités puissent continuer à se désintéresser de l’obtention des brevets d’invention qui sont des passerelles utiles vers une exploitation industrielle et qui créent la relation étroite et rémunératrice pour tout le monde, avec le milieu de l’entreprise./
                            Merci de votre attention.

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