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philosophie: Colloque

JOURNEE MONDIALE DE LA PHILOSOPHIE 2010
LE CERCLE CAMEROUNAIS DE PHILOSOPHIE (Cer.ca.phi)
 JOURNEE D’ETUDE DU 19 NOVEMBRE
Thème général : L’idée d’indépendance

Communication de Ebénézer NJOH MOUELLE

Président  du Cer.ca.phi.

L’INDEPENDANCE DANS L’INTERDEPENDANCE

        
1-)Quelle sorte d’idée serait l’idée d’indépendance ?
            Il existe des idées produites par l’esprit et qui sont l’expression d’un jugement traduisant une insatisfaction expérimentée par l’homme au cours de sa relation triangulaire entre lui-même, les réalités du monde objectif et les autres hommes. Nous avons affaire dans ce cas, à des idées caractérisées par une sorte d’inachèvement de la construction de leur contenu et ouvrant sur un avenir de créativité.
Et c’est ce qui fait la différence avec ce qu’il est convenu d’appeler le concept. Avec le concept nous avons ou nous visons, soit le sens bien déterminé de la chose, soit l’essence de la chose, à savoir ce sans quoi la chose n’est pas la chose Mais avec l’idée qui n’est l’idée ni d’un objet du monde matériel, ni d’une situation rencontrée dans le monde, mais plutôt l’idée d’un désir de reconstruction du monde, tout se passe comme si ce serait au terme d’une approximation indéfinie qu’on appréhenderait le tout de la dite idée. Si tant est que l’idée en cause soit un idéal à poursuivre, ce qui n’est pas forcément le cas. C’est donc l’expression d’un pur objet de pensée, c’est-à-dire un phénomène intellectuel (et non une situation réelle)
            L’idée d’indépendance semble être cette sorte d’idée qui n’est pas l’idée d’une situation rencontrée dans le monde mais celle d’un désir de reconstruction d’un monde plus ou moins phantasmé, à partir des expériences non concluantes et décevantes dans les relations avec autrui tout comme dans l’expérience des relations entre des communautés organisées.
            Je situe l’idée d’indépendance dans cette catégorie parce qu’elle n’a rien d’un concept aux contours achevés, porteur d’un sens bien défini. Toute idée présentant la même ouverture rejette des idées adventices négatives et en admet d’autres, positives. L’idée de courage par exemple exclut les idées de peur, d’hésitation, d’indécision mais inclut celles de détermination, de confiance en soi, de volonté et d’assurance C’est ainsi que l’idée d’indépendance envisagée dans sa radicalité laisserait croire qu’elle exclut toute idée adventice du genre de celles de domination, d’occupation, de collaboration, d’association, de mutualité, de coopération, d’entr’aide. Et qu’elle inclurait, a contrario, des idées telles celles d’autonomie, d’autarcie, d’isolement, d’autosuffisance et pourquoi pas d’égocentricité. Les instruments juridiques eux-mêmes, (conventions et traités internationaux) auraient tendance à renforcer cette vision radicale de l’indépendance.
Ainsi, l’idée d’indépendance semblerait ne s’accommoder qu’avec des idées découlant de la seule prise en compte de soi (ego individuel du  cogito, ergo sum, ou « ego collectif » si nous osons dire). Ce n’est pourtant pas une idée innée à la cartésienne). Serait-elle davantage l’idée platonicienne, c’est-à-dire cause exemplaire, modèle parfait, archétype dont les réalités sensibles seraient condamnées à n’être que des copies plus ou moins imparfaites ? Cela ne me semble pas être le cas dans la mesure où on ne pourrait pas traiter comme idéal d’indépendance l’enfermement dans l’autarcie et l’autocentration, le rejet de toute idée d’association, d’entr’aide et de mutualité.    
Et ce n’est pas le fait que l’autarcie ait pu être réalisée parfois, ici ou là, qui disqualifie cette prétention d’idéal, parce que, dira-t-on, l’idéal est fait pour ne pas être réalisé. Ce qui disqualifie l’idéal dans l’indépendance autarcique c’est à la fois cela et surtout le fait qu’une telle indépendance ne serait pas susceptible de donner « une parfaite satisfaction à l’intelligence et aux sentiments humains ». (La Chine de Mao Tse Toung avait fermé ses frontières au reste du monde ; elle les a ouvertes depuis et cela s’est fait pour son meilleur épanouissement et une meilleure participation au mouvement naturel de la pensée vers une vie harmonisée avec celle du reste du monde.
            C’est dire que l’idée d’indépendance devrait intégrer d’autres idées adventices telles que celles de division du travail, de négociation, de partenariat, d’équité, de justice et de solidarité.
            2-) Une idée sur-déterminée
            Je vais y revenir dans un moment ; mais auparavant il importe de souligner le fait que l’idée d’indépendance relève de cette catégorie d’idées et de représentations souvent surdéterminées. La surdétermination signifiant la détermination par excès, c’est-à-dire la surcharge du sens.
            En effet, il apparaît évident que là où on a subi la domination et l’occupation, la colonisation et l’assujettissement, l’indépendance dont on nourrit l’idée a tendance à exprimer un certain radicalisme dans l’exclusion de tout ce qui pourrait rappeler la domination et même faire opérer un retour à cette domination. La tentation de passage à la limite (l’extrême) est alors grande ; elle s’exprime par exemple dans une volonté d’exclusion des idées du genre coopération, assistance ou aide, partenariat.
            Opposée à cette attitude de surdétermination de l’idée d’indépendance, se présente celle d’un équilibrage qui pourrait ressembler à une sous-détermination réaliste. C’est l’attitude de ceux qui ont évacué le complexe d’anciennement dominés et d’anciennement assujettis ou alors de ceux qui n’ont jamais subi de domination.
            Quand on n’a pas subi de domination, on entre aisément dans un jeu qui demande qu’on intègre dans son esprit des paramètres tels que ceux de la loi de l’intérêt et de la prise en compte du rapport de forces qui gouverne les échanges entre les hommes et entre les nations. Quand par surcroît, on appartient à la catégorie des faiseurs du jeu ou des maîtres du jeu, on sait faire de l’indépendance une interdépendance de complémentarité profitable, pendant que les plus faibles dans ce jeu cherchent désespérément à sortir de leur faiblesse en dénonçant le confinement dans des rôles de complémentarité à jamais inégalitaire et peu profitable que ces maîtres du jeu ont tendance à leur imposer continuellement. Pour espérer sortir de leur faiblesse il leur faut s’ouvrir à la compréhension équilibrée et réaliste de l’idée d’indépendance. Une ouverture qui demande que l’anciennement dominé décomplexé intègre à son tour dans son idée d’indépendance les idées telles celles de négociation, de justice et de solidarité.
     3-)L’interdépendance et la complémentarité dans la cité juste de Platon
            C’est alors que, nous souvenant des livres II et III de La République de Platon, nous retrouvons une doctrine de la justice et de la cité juste qui va plutôt dans le sens de l’intangibilité des rôles et des statuts très peu susceptibles d’intéresser les faibles aspirant à devenir forts, les pauvres aspirant à devenir riches, bref, les consommateurs aspirant à entrer dans la catégorie des producteurs.
            En effet, dans l’examen théorique de la genèse de la cité  juste, auquel se livrent Socrate et ses élèves Adimante et Glaucon, le sujet de la discussion porte sur la justice dans la cité : «  La justice, affirmons-nous, est un attribut de l’individu, mais aussi de la cité entière » ; « Maintenant, poursuit Socrate, si nous observions la naissance d’une cité, n’y verrions-nous pas la justice apparaître, ainsi que l’injustice ? ». Quand Adimante acquiesce, Socrate énonce sa thèse : «  Ce qui donne naissance à une cité…c’est l’impuissance où se trouve chaque individu de se suffire à lui-même et le besoin qu’il éprouve d’une foule de choses ». Au fondement de la cité, on voit donc apparaître des besoins : nourriture, logement, vêtement et tout ce qui s’y rapporte. Comment la cité parviendra-t-elle à se fournir en tous ces besoins ? Ne faudra-t-il pas que certains soient des maçons, d’autres des agriculteurs, des tisserands, des cordonniers, des charpentiers, des forgerons, des bouviers et des bergers ? Ou alors, faudra-t-il plutôt que chaque individu, dans un souci d’autosuffisance et d’autarcie mal placées, s’emploie à se fournir en tous ces besoins ? La réponse est facile et logique : il faut une division du travail et une spécialisation des fonctions. Et ce, d’autant plus que, dit Socrate, « la nature n’a pas fait chacun de nous semblable à chacun, mais différent d’aptitudes, et propre à telle ou telle fonction ».C’est bien là le fondement de l’interdépendance minimale, pourrait-on dire.
L’examen qui s’est poursuivi sur cette question, après s’être étendu à révéler la nécessaire relation commerciale entre la cité naissante et d’autres cités, a conduit à synthétiser la multitude des fonctions en trois classes : la classe délibérante ou classe des chefs, la classe des auxiliaires des chefs ou classe des gardiens, ensuite la classe des gens d’affaires ou gens de métiers (laboureurs, artisans et marchands).
            L’interdépendance et la complémentarité ainsi décrites par Platon définissent ce qu’il appelle la cité juste. Juste en ceci que chacun reste à sa place, jouant le rôle qui lui est acquis par ses aptitudes naturelles et par la formation et la sélection subies. Cité qui cesserait d’être juste lorsque les membres d’une classe s’aviseraient de vouloir exercer leur fonction et celle des membres d’une autre classe. Pour que la justice continue de régner il faut que rien ne perturbe l’interdépendance établie entre les fonctions dont l’exercice conditionne l’ordre et la paix dans la cité.
            Il ne me semble pas que cette forme d’interdépendance présentée par Platon dans La République soit de nature à s’appliquer à l’ordre mondial, c’est-à-dire aux relations entre les Etats. Les trois classes de la cité ne se retrouvent pas dans un monde ne présentant ni direction unique, ni armée unique (classe des guerriers, gardiens de la cité ; il s’agirait de garder la planète contre quel ennemi extérieur à la planète ?), ni classe unique des gens d’affaires (Ici, comment ne pas penser au célèbre « prolétaires du monde entier unissez-vous, lancé par Karl Marx. Non seulement cet appel ne pouvait pas aboutir étant donné la grande diversité des situations à l’époque, mais encore il n’a pas reçu l’écho d’un mot d’ordre parallèle invitant les « patrons » du monde entier à s’unir et cela pour des raisons identiques de diversité des situations).
            Le cadre de la mondialité, aujourd’hui comme hier, nous fait sortir de la logique platonicienne de la cité et d’une certaine conception de la justice. Certes, ce n’est pas l’idée d’indépendance qui a présidé à la démarche platonicienne ici, mais celle de justice qui, elle-même, prend une autre connotation dans le cadre de la mondialité en se présentant davantage comme une exigence d’équité.
4-)De  l’interdépendance inégalitaire vers l’interdépendance égalitaire
            Telle que présentée dans La République de Platon, l’interdépendance et la justice dans la cité excluent toute prétention à l’indépendance tout en faisant de l’interdépendance et de la complémentarité un système ne laissant aucune place à la moindre mobilité interne dans l’exercice des diverses fonctions. La solidarité qui lie les uns aux autres, individus ou cités, ou Etats modernes ressemblerait à une structure mécanique définissant moins une indépendance dans l’interdépendance qu’une dépendance à l’égard de l’interdépendance ! La même conception de la justice dans la cité s’applique à l’âme humaine qui comprend trois éléments qui correspondent, selon Platon, aux trois classes qui composent la cité : à la classe dirigeante de la cité correspond la raison (la tête) qui délibère et commande aux inclinations et aux désirs. La classe des gardiens a son pendant dans le courage (le cœur) qui est l’auxiliaire de la raison comme les guerriers sont les auxiliaires des chefs. Enfin, la classe des artisans et des marchands, gens voués selon Platon aux besognes grossières, a son répondant dans l’appétit sensuel qui pourvoit aux besoins élémentaires de nutrition, de conservation et de reproduction. Dans l’individu-homme comme dans la cité entière, la justice consiste en ce que chaque élément se cantonne strictement dans son rôle. L’injustice se produit quand intervient, de la part des éléments, la tentative de bouger de leurs places pour en occuper d’autres, ce qui s’appelle plus exactement « subversion ! 
            L’impossibilité de quitter un rôle ou un statut pour un autre rôle ou pour un autre statut prend l’allure d’un destin qui pèse sur les hommes comme sur les cités- Etats. Pour qu’il y ait indépendance dans l’interdépendance, il faudrait qu’il existe, dans le jeu, une possibilité pour les joueurs, de changer de rôles dans le sens d’une meilleure assomption de leurs aptitudes et quand les aptitudes le justifient.
Si dans le cadre de la cité, la volonté de paix et d’ordre s’est trouvée au fondement de l’organisation de la justice comme une structure rigide, ce devrait être cette même volonté de paix et d’ordre qu’il faudrait placer au fondement d’une organisation de l’équité dans les échanges internationaux de toutes sortes aujourd’hui dans le monde.
            Et c’est dans ce cadre que l’idée de solidarité retrouve une place centrale. Bien évidemment, l’idée de solidarité se trouve déjà comprise dans celle d’interdépendance. Mais si l’interdépendance devait jouer toute seule, je veux dire mécaniquement et sans recevoir la moindre injection d’éthique, on la verrait reconduire régulièrement les résultats d’un rapport de forces qui maintiendrait en permanence les faibles dans leur faiblesse, les pauvres et sous-développés dans leur pauvreté et leur sous-développement.   
            5-)Que devient la préoccupation d’indépendance dans ce contexte ?
 Elle ne peut se désintéresser des idées de coopération et de partenariat. Les partenaires commencent par reconnaître chacun la souveraineté du partenaire pour ensuite entrer en négociation. Le partenariat suppose encore que les partenaires se rejoignent dans la définition de projets communs. Bref, une véritable relation partenariale doit reposer sur la confiance des uns vis-à-vis des autres, la convergence des projets, l’acceptation des règles du jeu, l’ouverture et la transparence. Ce qui n’est pas toujours le cas !
            A partir de là, l’indépendance devrait chercher à être sauvegardée dans les interstices de l’art de savoir tirer un avantage de la multiple possibilité de partenaires grâce à laquelle on évite de se lier de manière inconditionnelle et permanente avec un partenaire quelconque. Aucun partenariat bilatéral ne devrait représenter une quelconque fermeture à un recours à d’autres partenaires dans l’ordre du bilatéral tout  comme dans l’ordre du multilatéral. Serait-ce du non-alignement comme au temps de la guerre froide entre le bloc de l’Est et le bloc occidental libéral ? Si pour les « Faibles » la même possibilité de jouer entre les éventuels partenaires continue d’exister, l’efficacité dans ce jeu, pour les « Faibles », devrait être plus grande dans le nouveau contexte ayant substitué une grande pluralité de partenaires à la logique des deux blocs ! Le non-alignement sur l’un ou l’autre des deux blocs n’avait pas réussi à constituer un troisième bloc suffisamment homogène et fort pour inquiéter les deux grands blocs en présence à l’époque. Mais s’agirait-il, pour les Etats singuliers de se croire suffisamment rusés pour tenter de jouer individuellement dans cette pluralité de partenaires ? Les Etats singuliers ne sauraient réussir que regroupés dans le cadre des ensembles régionaux en constitution depuis quelques décennies, mais rongés de l’intérieur par le mal des égoïsmes nationaux ! Et voilà le désir d’indépendance qui rejaillit ici et devient son propre poison en tant que cause d’empêchement de la constitution des ensembles régionaux forts et efficaces, face à d’autres ensembles régionaux possédant des forces de négociation plus efficaces !
            Le fait est que c’est en développant l’art de la négociation que les « Faibles » peuvent exercer leur souveraineté et compter jouir d’une indépendance, certes relative parce que inscrite dans le cadre incontournable de l’interdépendance, mais indépendance tout de même dans la mesure où la souveraineté dans le choix des partenaires et la conduite des négociations conserve des chances d’être sauvegardée en toutes circonstances. Indépendance tout de même dans la mesure où elle demeure sous-tendue par la volonté de l’indépendantiste de bénéficier de l’interdépendance pour changer de position dans le système général de la complémentarité universelle.(Que les sous-industrialisés et sous-développés deviennent des industrialisés et des développés, les pauvres deviennent des riches, les consommateurs deviennent des producteurs,  par exemple)

Que dire encore en conclusion ?
            Au commencement se trouve la dépendance naturelle, ni forcée, ni violente : dépendance des enfants à l’égard des parents, dépendance des membres d’une communauté les uns vis-à-vis des autres. Si les choses vont de soi au niveau des communautés, des cités et des Etats en matière d’interdépendance bien comprise, il n’en est pas de même au plan mondial qui ne peut pas se muer en une authentique communauté mondiale des peuples.
Remarquons que tout le monde continue avec raison de parler de la communauté internationale et non de la communauté mondiale. Mais la différence est bel et bien perçue, parce que pour évoquer l’unité de direction qui pourrait exister ici un jour, on parle de gouvernance mondiale et non de gouvernance internationale. Parce que l’idée de communauté mondiale sous-entend celle de communauté des peuples pouvant faire advenir la citoyenneté mondiale.
            Aussi longtemps donc que perdurera la communauté internationale et interétatique, l’interdépendance égalitaire aura du mal à se substituer à l’interdépendance inégalitaire d’aujourd’hui. Mais comme l’idée de liberté n’a pas cessé d’envahir la préoccupation d’indépendance (le 1er janvier 1960 Ahidjo ne proclamait-il pas : « Camerounaises, Camerounais, le Cameroun est libre et indépendant »), on doit continuer d’espérer trouver le dernier refuge de l’indépendance tout comme de la liberté , non sûrement dans l’élimination de toutes les déterminations et de toutes les contraintes extérieures, mais dans la conservation du pouvoir de jouer le jeu du partenaire demeuré souverain et sachant tenir à bonne distance les influences extérieures avant d’exercer son libre arbitre au moment crucial de prendre des décisions, c’est-à-dire de choisir.

Njoh Mouelle 
   www.njohmouelle.org

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