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Préface:Recueils de poésie

« BLESSURES ENCHAINEES »

         Christiane Okang Dyemma vient de produire le présent recueil de trente et un poèmes qu’elle a intitulé « Blessures enchaînées ». Un titre éponyme tiré du tout dernier vers de l’avant-dernier poème baptisé « Réveil intempestif » : le poème des frissons et des frémissements des enchaînés que l’auteur est allée tenter de « vivre » en visitant un jour, la Maison des esclaves de l’Ile de Gorée. Profonde et indicible émotion :
         «  Les yeux noyés
         «  Dans des larmes généreuses
         «  Côtoyant des bouffées de nausée
         «  Par le réveil intempestif
         «  De vieilles blessures enchaînées.
Qu’on ne s’y trompe cependant pas ; l’auteur ne se laisse pas aller, dans ce recueil,  à la seule évocation des souffrances subies par les Noirs esclavagés et par le peuple des Antilles, son peuple, elle la Guadeloupéenne d’origine. Il s’agit bel et bien de « vielles blessures » dans cet ouvrage qui est loin d’être consacré à une quelconque expression de ressentiment et encore moins de volonté de vengeance. Même si l’un des poèmes s’intitule « La vengeresse héroïque », son héroïne n’est pas une va-t-en guerre ni une revendicatrice aveugle et inconsciente d’une stupide « réparation » ! Elle se contente de se présenter en sa singularité et son identité faites de contrariétés, de contraintes  et de traumatismes au départ :
         «  Moi, Solitude
         «  J’ai surgi du cocon de Guada de par une domination abjecte
         «  Une domination colonisatrice éhontée
         «  Qui a  forcé les portes fermées d’une matrice meurtrie

Le souffle qui anime ce recueil de poésie me semble correspondre à la tonalité d’ensemble de la tournure que prennent les événements dans les Antilles françaises depuis le début de la présente année 2009. La Guadeloupe de Christiane Okang Dyemma et la Martinique ont fait entendre leurs voix pendant ces longues grèves sans violence aucune de février, non pas pour proclamer ni engager un quelconque processus révolutionnaire, mais pour inviter les uns et les autres, y compris le gouvernement de la France, à assumer pleinement l’Histoire en allant plus avant dans la suppression des dissymétries entre l’Outre-Mer et la Métropole. Le vote par l’Assemblée Nationale française de la loi Taubira-Delanon faisant reconnaître la traite négrière transatlantique comme un crime contre l’humanité n’était-il pas déjà inspiré par la volonté de tourner la page pour envisager plus positivement la suite de l’Histoire ? Quand dans le même poème et en un vers isolé en son message inspiré par le pardon demandé à l’Afrique par le Président Clinton visitant la Maison des esclaves Christiane Okang Dyemma croit voir en Gorée « l’Île revivifiée par l’Amérique repentante », ne suggère-t-elle pas à son lecteur de regarder dans la direction de l’immense événement que constitue  l’avènement d’un président Noir des Etats-Unis en la personne de Barack Obama ?
         Comme chacun pourra le constater par lui-même, « Blessures enchaînées » est un recueil bien davantage consacré à rendre hommage : hommage à l’Afrique, hommage à Aimé Césaire, hommage à Senghor, hommage à Toussaint Louverture et à tous les héros ayant combattu pour la liberté, hommage au peuple des Antilles françaises, hommage à Nelson Mandela. Dans le registre de l’hommage à l’Afrique, qu’on ne s’étonne pas de trouver le poème dédoublé «  Rendez-moi mon Afrique ». C’est pour avoir découvert par son mariage une Afrique dont elle a très peu entendu parler pendant sa jeunesse que Christiane Okang Dyemma pousse ce cri de revendication qui n’en est en réalité  pas un, le poème « Toi et moi » n’étant pas seulement un hommage au Cameroun, son pays d’adoption, mais aussi et surtout l’expression de la concrétisation de cette récupération de l’Afrique par l’union matrimoniale scellée avec un Africain du Cameroun, cette « Afrique en miniature » ! Le continent tout entier et l’époux sont si subtilement entremêlés dans les premiers vers de ce poème :

         «  Ton cœur palpitant
         «  M’a happée de mon île au soleil,
         «  Toi continent en miniature

Mais il faut dire qu’en matière d’hommage, celui réservé à Aimé Césaire occupe une précieuse place centrale; plusieurs poèmes sont en effet consacrés à l’auteur de « Cahier d’un Retour au pays natal » ; des poèmes tels que «  Un baobab point ne tombe », «  Le poète s’en est allé », «  Merci, tu nous as tout donné », «  Eternellement tout feu », et bien d’autres encore. Aimé Césaire aura même inspiré une certaine manière d’écrire chez Christiane Okang Dyemma. Cela peut se remarquer dans des poèmes tels que «  Sang, sueur et larmes » ou encore « Karukera », « Héritage ».
         Deux magnifiques poèmes sont dédiés à Léopold Sedar Senghor : « Testament souvenir » et « Médiation » :
         «  Sacré legs sacré du don de l’essentiel,
         «  L’essentiel qui n’est rien d’autre que le rythme,
         «  Le rythme du souffle vital,
         «  Le rythme générateur de vie
         «  Qui même sans or
         «  Vaut mieux que l’or sans vie
                                               (Médiation)

Je ne saurais, en cette préface, évoquer toutes les grandes figures et tous les héros auxquels l’auteur a consacré une pensée en un ou plusieurs poèmes ; mais comment ne pas m’arrêter sur le nom de Toussaint Louverture ? L’homme qui dirigea avec une exceptionnelle habileté la grande révolution des esclaves entre 1795 et 1802 et dont est née la première république noire à Haïti ! L’hommage qui lui est réservé s’intitule «  Toussaint ou le sang du balisier » :

         «  Hommage à toi sang indomptable
         «  Dont l’œuvre irréductible
         «  Pourchassa jusqu’au mur, le fouet de la démence,
         «  Hissant un rêve sublime
         «  En drapeau libre prisonnier de nègres debout

                   Les très nombreux hommages que contient ce recueil auraient pu lui donner une paradoxale tonalité joyeuse de célébration. Tel n’est point le cas. S’il ne contient pas de nouveaux messages forts en tant que tels, le sentiment de  sérénité néanmoins émue que dégagent ces morceaux de poésie en leur lecture confirme plutôt l’idée selon laquelle, et de son propre aveu, en composant ces trente et un poèmes, l’auteur a voulu « tout simplement prendre une pause dans le transport de ce fardeau de l’homme noir qu’elle  trimballe  depuis longtemps ».
                   J’ai dit « pas de nouveaux messages forts » ? Certainement oui. Mais que penser du tout dernier poème que j’ai aimé d’emblée et qui s’intitule « Demain » ?
         «  Demain ne sera pas hier
         « …………………………..
         «  Demain ne pourra pas être hier
         «  ………………………………..
         «  Demain ne saurait être hier
         «  Car demain le soleil dévorant le carnaval nègre
         «  Mettra le feu à nos bouches assoiffées
         « ………………………………………
         « Car demain sera demain
         «  Les bouches rassasiées accoucheront des bourgeons du théâtre mondial

C’est par un tel  poème d’ « espoir renaissant » et d’optimisme prophétisant pour le destin de son peuple que Christiane Okang Dyemma clôt son ouvrage :
         «  Nous ne serons pas les passagers derniers du train en marche
         «  Sur le petit navire en partance  des « jours étrangers »
         «  Pour le firmament des jours à nous à l’autre bout de l’océan
Ne voilà-t-il pas qui sonne comme l’annonce d’une autre traversée, en tout cas d’un autre voyage déjà entrepris, le voyage de la participation à la construction d’un monde plus humain parce que plus solidaire ? Un autre poème de la fin du recueil, « De part et d’autre de l’Atlantique » ne manque pas de produire ce sentiment de triomphe en faisant jouer le tam-tam joie, le tam-tam gaieté, le tam-tam d’Afrique et le tam-tam survivance
         «  Qui est victoire d’une identité authentique,
         «  Victoire d’une liberté arrachée. /

                                                        Pr. NJOH-MOUELLE
                                                                 Philosophe

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