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Intervention, texte intégral

A PROPOS DE SOLIDARITE DANS L'ESPACE FRANCOPHONE

MONDIALISATION: POUR UNE SOLIDARITE NEGOCIEE A LA PLACE DE LA SOLIDARITE OFFERTE
Conférence donnée le 22 Juin 2005
Au Centre Culturel Italien de Yaoundé sous le titre initial de:
" Quelle solidarité dans quelle mondialisation ?"

Mesdames, messieurs,

J’ai choisi de vous entretenir sur ce qu’est et ce que pourrait être l’expression de la solidarité internationale dans le cadre de la mondialisation. Mais avant de parler de la solidarité, il importe de rappeler ce qu’est la mondialisation en tant qu’un processus d’extension à l’échelle du monde entier de ceci ou de cela. Qu’est-ce qui serait donc en train d’être étendu ou élargi à la dimension du monde entier ?la réponse à cette question permet de voir qu’il y a plusieurs mondialisations comportant par conséquent des rythmes différents , tandis que d’autres subiraient des freinages et des blocages. C’est ainsi qu’on peut citer la mondialisation du libéralisme capitaliste, la mondialisation de la démocratie comme système politique, la mondialisation de la communication, entendu comme un ordre mondial de la communication auquel l’Unesco a voulu un jour toucher. A l’intérieur de la mondialisation du libéralisme capitaliste, il y a lieu de distinguer entre le sort qui est fait à la libre circulation des capitaux comme à la libre circulation des marchandises. Si nous devons considérer certains de ses aspects comme achevés, ce serait pour regretter en même temps qu’elle ne se fonde pas sur des valeurs communes et communément acceptées. Ce serait, en second lieu, pour me demander ce qu’il faudrait du reste entendre par un tel achèvement ? Serait-ce l’achèvement entendu comme la réalisation parfaite d’un programme agréé par tout le monde ou plutôt l’achèvement dans la douleur subie par la grande majorité des habitants de la planète, d’une action de domination par les plus forts ?

Je pense qu’aucune mondialisation ne saurait être considérée comme achevée si elle ne se réalise pas autour d’une mise en œuvre de la valeur de solidarité à inscrire dans une nouvelle organisation de l’économie mondiale. Car les formes prises par l’expression de la solidarité internationale à travers les pratiques d’aide publique au développement et de remise gracieuse des dettes des pays pauvres n’ont pas empêché que le fossé continue de se creuser entre les riches et les pauvres. Nous verrons tout à l’heure comment le pilotage qui est fait de tout cela par la constellation constituée par le G7, le FMI, la Banque Mondiale, l’OCDE, l’OMC donne à penser qu’il y a une mondialisation à plusieurs vitesses et à plusieurs règles, voire même sans règles !

Les autoroutes de la communication (ou la révolution des NTIC)

L’aspect le plus frappant de la mondialisation concerne les effets de la révolution survenue dans les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) qui a permis l’avènement de ce qu’on a appelé au début de cette aventure, les autoroutes de l’information. C’est bien ce qui s’est passé dans ce secteur qui a laissé la plus nette impression d’un rétrécissement du temps et de l’espace, une impression de réduction de la planète Terre aux dimensions d’un village. L’exploitation convergente des technologies de l’informatique, des télécommunications et du monde des médias, autrement dit la numérisation des sons et des images, rendue possible par les techniques de compression, ont ouvert la voie aux données multimédias qui sont la combinaison du téléphone, de l’ordinateur et de la télévision !

Les notions nouvelles apparues dans ce contexte sont celles de « temps réel » et de réalités virtuelles : le temps réel étant l’expression de la simultanéité de la réception du signal de l’information sur un événement se produisant à n’importe quel point de la planète et l’effectivité de cet événement en train de se produire. (Les attentats du 11 Septembre 2001 à New York comme si on y était, le Tsunami du 26 décembre 2004 en Thaïlande comme si on y était, etc.).

La virtualité quant à elle, c’est la création d’images et des réalités qui n’ont de réalité que celle résultant des combinaisons que permet le multimédia ; la virtualité c’est aussi le fait de l’existence de communautés et de groupes ne se réunissant jamais concrètement en un lieu et cependant fonctionnant comme s’ils constituaient des entités palpables. Je pense en particulier aux forums et autres groupes de dialogue sur Internet. La virtualité c’est encore celle de l’espace de regroupement de diverses personnes par concentration sur un événement se déroulant en temps réel.

C’est bien par cet aspect communicationnel que l’affirmation selon laquelle le monde est devenu un gros village apparaît avec la plus grande évidence à tout le monde. En réalité, c’est ici aussi qu’apparaît la première illusion de mondialisation et de village planétaire ! La première désillusion, si on préfère. Quand nous considérons le nombre de propriétaires de postes de télévision dans le monde, le nombre d’abonnés au téléphone, le nombre d’ordinateurs possédés par des citoyens à travers le monde, force est de constater que le village planétaire est une virtualité ; il est composé des « happy few » nantis des instruments dont je viens de parler. Considérons quelques données statistiques : Avec une population de 785 millions d’habitants, l’Afrique ne représente que 0,8% du nombre d’internautes dans le monde ; autrement dit, avec ses 13% de la population mondiale, l’Afrique pèse moins de 1% dans le cybermonde.( Au Cameroun, on dénombrait 20.000 internautes en l’an 2000, 450.000 postes de télévision en 1997, 115.000 lignes téléphoniques en 2003, 1.500 000 téléphones portables en 2003, etc). Le Moyen–Orient, pour la même année ne comptait que 0,67% des effectifs d’internautes dans le monde, pendant que les Etats-Unis d’Amérique totalisaient à eux seuls 52% des internautes. Bref, 88% des internautes que compte le monde vivent dans les pays industrialisés qui ne représentent que 17% de la population mondiale.

On se rend bien compte ainsi que la planète Internet est bien petite et ne fait que refléter le grand fossé technologique et financier qui sépare en tout temps le Nord et le Sud de la planète. C’est pourquoi Paul Virilio écrivait déjà en 1995 dans son livre paru aux éditions Galilée et intitulé « La vitesse de libération » ce qui suit : « La société de demain se décomposera en deux catégories antagonistes : ceux qui vivront au rythme du temps réel de la ville mondiale et ceux qui survivront dans les marges de l’espace réel des villes locales, plus abandonnés que ceux qui vivent aujourd’hui dans les zones sub- urbaines du Tiers-Monde ». Etait-ce une vision par trop pessimiste ? Bien sûr que non ! Les quelques statistiques que je viens de donner et qui sont postérieures à 1995, puisqu’elles sont de l’année 2002, lui donnent entièrement raison.

En réalité, la situation en matière de mondialisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication est le reflet de cet autre aspect de la mondialisation et qui concerne la libre circulation des capitaux.

La libre circulation des capitaux

Un des articles de foi de la mondialisation consiste à laisser entendre que le libre flux des capitaux qui est supposé augmenter l’investissement, la croissance et la prospérité se dirige aux quatre coins du monde. Or, ici aussi, force est de constater que le mouvement des capitaux ne s’intéresse pas du tout à l’Afrique et ne se dirige que vers les régions du monde où le capital peut s’optimiser au maximum et se reproduire. En l’an 2000, selon les estimations de la Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement (Cnuced), l’Afrique aura reçu moins de 1% des investissements directs étrangers, soit 9 milliards de dollars, le principal bénéficiaire en ayant été la Sadc (Communauté de développement de l’Afrique Australe) avec près de quatre milliards de dollars en 2000 contre cinq milliards en 1999. Pendant la même période, l’Europe Centrale bénéficiait de 27 milliards d’investissements directs étrangers contre 25 en 1999. Il est clair que l’Afrique est restée et reste pratiquement à l’écart des grands flux de capitaux mondiaux. L’essentiel de ces flux se déplace de pays industrialisés à pays industrialisés. En 2002 et 2003 ils ont absorbé les 2 /3 de ces investissements directs dans des opérations de délocalisations. Il faut préciser tout de suite qu’il ne s’agit pas des fonds publics qui viennent des institutions financières relevant par exemple du système de Bretton Woods, ni de ceux qui s’appellent l’Aide Publique au développement accordée sous forme de crédits par les Etats à d’autres Etats et dans le cadre des relations bilatérales. L’ensemble de ces capitaux publics ne représenteraient qu’à peu près 3% de la masse d’argent qui circule dans le monde et ce n’est pas avec eux que le décollage économique de l’Afrique pourra se faire.

Parlons à présent de la mondialisation sous l’angle de la libre circulation des marchandises: le libre échange

Si j’essaie de simplifier la présentation de la question je dirais que la mondialisation des échanges commerciaux semble supposer quelque chose qui ressemblerait à ce qui se passe à l’intérieur d’un même pays. Parce que à l’intérieur d’un même pays il n’ y a pas de barrières douanières. Le pays ne protège pas ses produits qui se vendent en son sein. L’idée de libre échange est donc nécessairement liée au commerce international. C’est ici que la protection se justifie et se manifeste effectivement. Les produits manufacturés en provenance des pays industrialisés sont frappés des droits de douane à leur entrée dans les pays en voie de développement, non pas souvent par protectionnisme, mais parce que c’est une source importante de recettes pour les Etats. Or, par rapport à ces droits de douane, ce qu’il faut dire est que les pays développés se sont préparés depuis longtemps à marcher vers le libre échange. D’après un rapport fait au sénat français en l’an 2000, depuis la fin des années cinquante jusqu’à aujourd’hui, les droits de douane des pays industrialisés sont passés en moyenne de 40% à 4%, pendant que le volume des échanges mondiaux se voyaient multiplier par dix-sept, la production mondiale par quatre, le revenu mondial par habitant par deux. Cela veut dire que les marchés nationaux se sont davantage ouverts aux produits étrangers. Le paradoxe est que cette ouverture a été plus grande du côté des marchés nationaux des pays en développement où elle est passée de 22,8 à 38% de 1985 à 1997, alors que pour les marchés nationaux des pays développés cette ouverture est passée de 16,6 à 24,1% pour la même période !

Cette situation n’a rien de surprenant dans un contexte mondial qui a opéré depuis toujours une division inéquitable des rôles entre les producteurs d’un côté et les consommateurs de l’autre. Bien avant de dénoncer la concurrence déloyale dans laquelle la mondialisation semble lancer les puissants et les faibles, il y a lieu de relever cette autre politique des pays du Nord qui n’ont jamais voulu encourager les programmes d’industrialisation dans les pays en voie de développement. Le développement durable, le décollage économique des pays en voie de développement ne peuvent se réaliser qu’avec le passage à l’industrialisation qui seule, pourrait permettre le développement significatif des échanges commerciaux Sud-Sud, comme c’est le cas depuis longtemps entre les pays développés eux-mêmes. Or nous venons de constater la raideur avec laquelle les investissements directs étrangers (IDE) évitent l’Afrique pour ne s’intéresser davantage qu’aux pays déjà industrialisés. On va dire que les économies des pays en voie de développement ne savent pas non plus se rendre attractives ; cela est vrai dans une large mesure. Mais il y a lieu de penser que d’un autre côté, les pays développés n’ont aucun intérêt à faciliter l’émergence d’autres pays développés qui viendraient leur disputer des parts de marché ici et là dans le vaste marché mondial. De toute évidence, pour prôner le libre échange, il faut se sentir en position de force. Dans son rapport de 1997 portant sur les indicateurs de développement dans le monde, la Banque Mondiale ne considère plus l’industrialisation comme un facteur de développement de l’Afrique, peut-être à cause de la conservation de l’outil de production par les Etats et du manque d’intérêt des investisseurs étrangers majoritairement regroupés au niveau des entreprises transnationales ? D’une manière globale, les pays industrialisés de l’hémisphère Nord sont en position de force, même si la Chine est en train justement d’ébranler leur assurance et de les pousser à retourner vers un protectionnisme en parfaite contradiction avec les postulats de la mondialisation. Sans attendre cette poussée chinoise, les pays africains viennent de voir les maîtres de la mondialisation violer eux-mêmes les règles de la concurrence immanentes au libre échange. Je pense ici à ce qui se passe avec le coton africain auquel on fait subir une concurrence déloyale au niveau du marché mondial. Je pense aux autres prix des matières premières qui, depuis toujours, ne sont pas fixés par les producteurs-vendeurs mais par les consommateurs-acheteurs ! Je pense aux quotas imposés à la banane africaine de meilleure qualité pour faire une place à la banane américaine. Dans un article de l’Observatoire Ocde, février 2004, signé de Phil Evans, l’auteur écrit ce qui suit : « Le libre échange doit s’appuyer sur des règles de concurrence solides pour bien fonctionner ». C’est une bien curieuse justification de ce qui s’est passé à Cancun en septembre 2003 ; car cet article a été inspiré par l’échec de la conférence de l’Omc de Cancun, autour précisément du coton africain. L’auteur de cette phrase veut-il dire que ceux qui subventionnent leurs agriculteurs ne savent ou ne savaient pas qu’il y a des règles solides interdisant le dumping sous toutes les formes ? Phil Evans reconnaît pourtant que « les Etats-Unis protègent leurs producteurs de coton et l’Union européenne fait de même pour l’ensemble de ses agriculteurs », et il ajoute « non pas pour nuire aux pays en développement, mais pour apaiser ou satisfaire d’importants groupes d’intérêts ». Car en effet, poursuit-il, « la protection est avant tout une question de redistribution nationale ; le monde extérieur vient en second lieu ».

Les quelques faits que je viens de rappeler permettent de dire que la mondialisation des échanges commerciaux qui feignait de faire comme si la planète-monde était devenue une sorte de cadre- nation, est pure illusion, une fois de plus. Les intérêts des producteurs nationaux réels demeurent plus déterminants et triomphants là où n’existe aucune velléité de reforme interne nationale. Autrement dit, pour que les reformes internationales portent des fruits, elles doivent coïncider avec l’existence de mouvements nationaux d’idées qui soient favorables aux mêmes reformes. Cela se vérifie encore clairement au sujet des délocalisations des entreprises. Alors même que ce ne sont pas les pays en voie de développement qui bénéficient le plus de ces délocalisations, elles provoquent des levées de boucliers dans divers pays développés tel la France où sont déplorés les risques de chômage que provoqueraient ces délocalisations d’entreprises. Pendant ce temps, les pays en développement y verraient une solution plus efficiente et mieux à même de contribuer à la création locale des richesses. L’idée selon laquelle les meilleures conditions sociales de la production devraient jouer dans le choix de l’implantation des usines ne satisfait pas grand monde dans les pays développés. A ce sujet je ne résiste pas à la tentation de citer in extenso un passage de l’article de Jacques Attali dans l’Express du 16 Août 2004 intitulé précisément « Relocaliser ». Jacques Attali écrit en effet ceci : « En France, le gouvernement propose de consacrer, en 2005, 1 milliard d’euros à un programme de « relocalisation » d’emplois dans les régions de fort chômage. La gauche avance une mesure plus radicale, qui conduirait à exiger des entreprises sur le départ le remboursement de toutes les aides qu’elles auraient reçues antérieurement pour rester…A terme, l’harmonisation mondiale des conditions sociales de la production est inéluctable. Pour qu’elles ne s’alignent pas partout sur les plus basses, il faudra que les négociations commerciales à venir incluent la prise en compte des inégalités des conditions du travail. » Et Jacques Attali de conclure, péremptoire : « Il ne devrait pas être possible pour les pays en développement d’avoir accès aux marchés des pays riches, à moins qu’ils ne s’engagent à mettre en place progressivement un droit social proche de celui des pays du Nord où ils veulent commercer. C’est à ce prix qu’on évitera peut-être de transformer l’Europe et les Etats-Unis en deux jardins d’hiver ».Ce texte de Jacques Attali montre comment il apparaît difficile d’introduire le discours de la solidarité dans un contexte où prédominent encore les égoïsmes des nations, les intérêts divergents des peuples, la permanence de l’acuité du sens du profit et du gain du côté des investisseurs et autres bailleurs de fonds, etc. Il faut pourtant qu’un minimum du sens de la solidarité vienne adoucir cette dureté caractéristique d’une mondialisation qui semble être tout sauf la mondialisation du sens éthique et de l’humain.

Aide, Partenariat, coopération et Solidarité

Comment faire intervenir un concept éthique tel celui de solidarité dans un contexte où la plupart des gens n’entendent que le discours de leurs intérêts personnels ou de groupe ? La solidarité dont nous allons parler et qui est réclamée comme un droit par les ressortissants des pays pauvres ne saurait être que l’expression d’une volonté et d’un choix de raison de la part des divers protagonistes. En parcourant quelques pages l’autre jour de la retranscription des débats de la commission économique et sociale de l’Assemblée Générale des Nations Unies, session du 5 Octobre 2000, j’ai retrouvé ce qu’on trouve habituellement comme récriminations et indignations exprimées par les représentants des pays pauvres. La plupart dénoncent les belles intentions verbales des délégués des pays développés cherchant à se donner bonne conscience ; mais quand ils en viennent à énoncer des propositions de solutions, c’est encore aux pays développés qu’ils demandent ceci ou cela. C’est ainsi que j’ai pu y voir une proposition de création d’un fonds mondial de solidarité pour aider les pays démunis à assurer leur développement, un fonds alimenté par des dons et des contributions volontaires ; un autre délégué reprenait pour son compte l’idée énoncée au Sommet du Sud, à la Havane, par des dirigeants des pays en développement qui ont recommandé « la création d’une nouvelle architecture financière internationale. « Une nouvelle architecture qui devrait être conçue de manière à permettre aux pays en développement d’acquérir les moyens techniques, technologiques et financiers pouvant leur donner la capacité de participer à la mondialisation de l’économie sur un pied d’égalité avec les pays développés ». Faut-il continuer de parcourir ce compte rendu des débats ? Encore une autre proposition venant d’un délégué africain : « la mise en place d’une charte mondiale de développement commun et de partenariat qui pourra contribuer à atténuer les disparités criardes et à résoudre les autres problèmes humains ». Au cours de la même séance, le représentant du Cameroun avait appelé quant à lui à « un contrat de solidarité » ! Ce qui me frappe est qu’ en même temps que nous nous en prenons à l’hypocrisie des représentants des pays développés qui énoncent les beaux principes qui seraient favorables aux pays en développement, c’est vers eux que nous nous tournons pour demander ceci ou cela. Car, qu’il s’agisse de l’idée d’un fonds mondial de solidarité ou de cette fameuse et « nouvelle architecture financière internationale », on parle d’argent et de beaucoup d’argent qui devrait sortir de quelle autre caisse sinon de celles des pays développés comme c’est le cas avec le ravitaillement de la banque mondiale ?

Cette logique ne va pas sans rappeler celle qui a présidé à la conception du Nepad. Comment ne pas tenter de comprendre le projet du Nepad dans le cadre d’une mise en œuvre de la solidarité Nord-sud puisque la première sortie des chefs d’Etats initiateurs de ce projet les a conduits auprès du G7 où ils sont allés l’exposer ? Mais disons un mot, avant toute chose de l’idée de partenariat. Quand on est partenaire dans un jeu à deux ou à plusieurs, on est supposé bien se connaître, ou, à tout le moins, être animés de la volonté de bien connaître les autres afin de devenir des sortes de complices. Bref, une véritable relation partenariale doit reposer sur la confiance des uns vis-à-vis des autres, la convergence des projets, l’acceptation des règles du jeu, l’ouverture et la transparence. Chacun doit y gagner ; ce n’est pas de la philanthropie !

Si nous considérons un projet tel celui du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), qu’est-ce qui se donne à constater ? Dans le jeu à plusieurs que les initiateurs du Nepad ont voulu organiser, on ne peut pas dire qu’il y ait convergence de projets, confiance réciproque, ni, a fortiori, acceptation des règles communes du jeu. En Octobre 2001, des dirigeants politiques africains ont lancé un appel à tous les peuples du continent pour qu’ils prennent conscience de la gravité de la situation et de la nécessité de se mobiliser pour mettre un terme à la marginalisation continue de l’Afrique et à l’accroissement du fossé qui les sépare du monde développé. Il n’est pas sûr que les partenaires recherchés qui sont les membres du G7 prennent cette préoccupation à leur compte, (donc absence de convergence de projets). En second lieu et en ce qui concerne la confiance et la transparence, lorsque les Africains s’engagent à réaliser les préalables que sont la paix et la sécurisation des investissements, la bonne gouvernance et la démocratie par exemple, il y a lieu de se demander s’ils peuvent présenter une crédibilité sans soupçon aux partenaires qu’ils sollicitent ! L’état d’esprit caractéristique de la logique partenariale n’est pas au rendez-vous. Tout comme n’est pas au rendez-vous l’élimination des conflits en vue de la sécurisation des capitaux, les Africains eux-mêmes continuant à nourrir des soupçons à l’endroit des membres du groupe des grandes puissances réputées fomenter et entretenir des conflits armés sur le continent, pour l’intérêt de la vente des armements.

Une deuxième remarque s’impose encore : tout comme trouvé dans les interventions de certains délégués à l’Onu, les propositions des Africains du Nepad sont majoritairement des demandes adressées aux autres et reposant hypothétiquement sur leur bonne volonté : demande d’une augmentation de l’aide publique au développement, demande des apports plus importants de capitaux privés, demande d’accès aux marchés financiers, demande d’allègement de la dette. En contrepartie les engagements annoncés par les Africains se présentent comme des conditionnalités qu’ils s’imposent à eux-mêmes et qui ne peuvent inspirer que doute et que scepticisme à leurs interlocuteurs, membres du G7.

Il apparaît à l’évidence que l’organisation de la solidarité sous la forme partenariale sera toujours illusoire entre les grandes puissances et les petites nations, les puissants et les faibles, c'est-à-dire entre des groupes dissemblables. Il apparaît difficile d’instaurer la confiance et la transparence au niveau des règles du jeu spécifiques que chaque relation partenariale est supposée se donner. Et, au vu du nombre des demandes adressées au G7, on a l’impression qu’il s’agit d’un retour à la politique de l’assistance et de l’aide que le Nepad a voulu opérer. Le fossé qui sépare les Africains du Nepad et les membres du groupe des 7 est tel qu’ils ne peuvent pas entrer dans une relation partenariale authentique, car la convergence des projets, la confiance et la transparence ne peuvent y être réalisées.

Une logique de solidarité à repenser

Il me semble que jusqu’ici la solidarité internationale ne s’est exprimée que sous les formes dont je viens de parler rapidement : l’aide publique au développement, les partenariats divers et la coopération. Ce que je viens de dire du partenariat et notamment du Nepad, est ce que je redirais de toutes ces formes de solidarité et en particulier de la coopération, telle qu’elle a fonctionnée et fonctionne encore sous nos yeux. . Je veux dire qu’il s’agit d’une forme de relation de solidarité foncièrement inégalitaire et hiérarchique. Une solidarité offerte et non négociée. En toute objectivité, le fossé qui sépare les pays en développement des pays développés est tel qu’il ne peut pas exister entre eux une authentique relation de coopération ou de partenariat qui suppose des éléments de réciprocité librement négociés et non imposés aux plus faibles par les plus forts.

De quelle solidarité internationale pourrions-nous donc continuer à parler si elle ne doit pas prendre la forme de tout ce qui ressemble à l’aide et à l’assistance reposant essentiellement sur les fonds publics ? Avant d’aller plus loin il me semblerait éclairant de revenir à la distinction durkheimienne entre la solidarité mécanique et la solidarité organique. La solidarité mécanique est celle qui est en jeu dans un groupe composé de partenaires semblables : pays développés entre pays développés ; pays pauvres entre pays pauvres, par exemple. Comme dit l’adage populaire, ceux qui se ressemblent s ‘assemblent et, pourrait-on ajouter, se soutiennent ; dans la mesure où chacun se retrouve un peu dans l’autre, se sent l’autre. Si les pays développés se sont préparés à l’avènement du libre échange en baissant progressivement les barrières douanières entre eux, les pays pauvres et en voie de développement quant à eux, ont maintenu élevés leurs tarifs douaniers qui constituent l’une des sources principales de recettes pour les caisses des Etats. Des unions douanières transformées en communautés économiques et monétaires sont supposées faciliter les échanges à l’intérieur des ensembles régionaux à fonctionnement hésitant. D’une manière générale, il semble plus naturel et plus facile de vivre une relation de solidarité avec des semblables.

La solidarité organique quant à elle se fonde sur des différences qui sont des particularisations de rôles et de fonctions des divers membres composant le groupe. C’est la solidarité de complémentarité qui a tendance à figer chacun dans son rôle ou sa fonction. La solidarité internationale qui a fonctionné jusque là est précisément de type organique entre le Nord et le Sud : le Nord produit tandis que le Sud consomme. Dans la logique de cette solidarité de complémentarité et d’interdépendance inégalitaire et inéquitable, les pays en voie de développement auraient vocation à demeurer en permanence en voie de développement. Et c’est bien ce que traduisent les statistiques économiques tous les ans lorsqu’elles font constater que le fossé ne cesse de se creuser entre le Nord et le Sud, entre les riches et les pauvres. Les riches continuent de s’enrichir pendant que les pauvres continuent de leur côté de s’appauvrir ! Et pourtant, une certaine forme de solidarité fonctionne et révèle son inefficacité.

De l’Assistance par l’A.P.D à une solidarité de « mise à niveau » ?

Mais justement, qu’est-ce qui est attendu des pays en voie de développement et qui ne se produit pas ? Ce qui est attendu et espéré est qu’ils deviennent développés au même titre que les déjà développés, qu’ils cessent d’être différents, qu’ils deviennent semblables aux déjà semblables du Nord, bref, qu’ils deviennent aussi des pays riches. Non pas d’une richesse toujours potentielle, toujours naturelle et parcimonieusement transformée de temps en temps ici et là, en produits vendables, en produits commercialisables.

Car c’est bien cela le chemin de la richesse : produire des biens commercialisables non pas seulement en autarcie, mais sur le marché international qui permet de faire rentrer des devises. Pour produire des biens commercialisables il faut disposer des capitaux à investir. Des capitaux dont nous venons de voir leur sélective libre circulation dans le monde.

C’est précisément autour de ces deux grandes facettes de la mondialisation que devrait s’organiser ce que nous continuons d’appeler la solidarité internationale. Je veux parler de la mondialisation s’exprimant par la libre circulation des capitaux sous la forme des investissements directs étrangers (IDE) essentiellement privés, ainsi que la mondialisation s’exprimant par la soi disant libre circulation des marchandises dans un contexte de concurrence inégalitaire. Dans une précédente conférence, le 21 Mars dernier au Centre Culturel Français de Yaoundé, j’avais mis en évidence une différence significative dans la terminologie quand il s’agissait de l’expression de la solidarité entre des économies de pays semblables de l’hémisphère Nord. Il s’agit de l’expression de « mise à niveau » des économies, utilisée par les Européens pour désigner les actions engagées en faveur des pays de l’ancienne Europe de l’Est devant entrer dans l’Union européenne. Je soulignais la valeur idéologique sous-tendant cette formule, comparée à celle de l’aide publique au développement utilisée pour désigner la forme d’action de solidarité consentie aux pays en voie de développement. Ce que je voulais dire était que l’objectif final devait être celui de voir les économies faibles se hisser un jour, à peu près au niveau des économies fortes ; c’est-à-dire d’en arriver à donner de la relation de solidarité internationale la même idée qu’on peut voir fonctionner entre des économies devenues semblables au lieu d’entretenir éternellement la dissemblance inégalitaire et inéquitable.

Ainsi posé, chacun peut voir que le fond du problème est celui de la volonté réelle de solidarité susceptible d’animer les grandes puissances. Voudraient-elles réellement augmenter le nombre de leurs vrais concurrents sur la place du marché mondial ?Un économiste me disait un jour que « les pays à revenus élevés ne veulent pas réellement faciliter la « mise à niveau » du continent africain à l’image de ce qu’ils ont fait en faveur de l’Asie du Sud-Est, parce que cette « mise à niveau » tendrait à exacerber la compétition à l’échelle mondiale, une compétition qui verrait l’Occident accepter l’échange des marchandises et des services dans tous les secteurs, y compris ceux où le taux de protectionnisme indirect devrait disparaître dans le cadre du système généralisé des préférences »

Les délocalisations et la théorie des avantages comparatifs

Nous ne pouvons envisager la nouvelle relation de solidarité qu’en revenant sur la question fondamentale des délocalisations industrielles et de l’orientation des flux financiers mondiaux. Et c’est tout juste pour tenter de voir en quel sens la relation de solidarité entre les peuples pourrait continuer à justifier des espoirs. Dans les pays industrialisés, les délocalisations sont perçues comme une menace sur la sécurité de l’emploi des nationaux. Par contre dans les pays en développement, les délocalisations sont souhaitées pour des raisons exactement inverses. Il est facile de comprendre que les responsables politiques et les syndicalistes s’opposent à ces « externationalisations » des entreprises comme on les appelle encore. J’ai déjà eu à faire état d’un article de Jacques Attali exprimant un avis fermement opposé à cette orientation. Bernard Cassen de son côté n’a pas manqué de se demander si, au nom de la localisation géographique devenue caduque, « les pays développés doivent abandonner, parmi leurs industries, celles pour lesquelles ils n’ont pas d’avantages comparatifs à cause des coûts de main d’œuvre, comme les industries du textile et de la chaussure, »par exemple. .Autrement dit, comme le prône la théorie des avantages comparatifs, devraient- ils se concentrer sur les points où ils sont les meilleurs ?

Pour une nouvelle solidarité de complémentarité négociée

Il me semble que des instances de dialogue et de négociation au niveau mondial pourraient se mettre en place pour examiner les possibilités de mise en œuvre d’une nouvelle forme de solidarité de complémentarité plus équitable et reposant cette fois sur la théorie des avantages comparatifs : à savoir « qu’une nation qui ne possède que des avantages absolus de productivité (c’est-à-dire une nation qui fait tout et mieux que les autres) aurait tout de même intérêt à se spécialiser dans la production des biens dans lesquels elle possède le plus fort écart de productivité avec les autres nations et à participer à l’échange international. Autrement dit encore, l’application de la théorie des avantages comparatifs au niveau mondial constituerait l’expression de la meilleure bonne volonté de faire de la mondialisation ce qu’elle devrait être : une sorte de pays-monde susceptible de faire émerger une économie de concurrence régulée et la conscience d’une nouvelle citoyenneté, à la place de l’actuelle mondialisation fondée sur un libéralisme sauvage.

Conclusion

A la place donc de l’initiative du Nepad, je verrais plutôt les pays en voie de développement militer en faveur de l’organisation d’une sorte de conférence tripartite regroupant des représentants des capitaux privés, les responsables gouvernementaux des pays industrialisés et les responsables gouvernementaux des pays en voie de développement. Partant de l’idée des avantages comparatifs, tenant compte du fait que bien des produits de base sont remplaçables par des produits de synthèse, ce qui a pour conséquence de ruiner les espoirs des pays producteurs de ces produits de base, prenant en compte l’idée selon laquelle on peut tout faire n’importe où dans le monde et que la localisation géographique dans un monde réellement mondialisé, c’est-à-dire devenu un pays-monde, la conférence à laquelle je pense pourrait avoir à déterminer les nouvelles particularisations de responsabilités de production et une nouvelle division du travail, bref une complémentarité de participation également bénéfique pour tout le monde.

Je suis convaincu que cette vision des choses est partagée par bien des gens dans les pays développés. C’est dans ce sens que je considère la position exprimée dans son site Internet personnel par Dominique Strauss Kahn quand il écrit « Nous devons franchir la « frontière technologique » qui rendra nos produits complémentaires et non plus concurrents des produits en voie de développement" » et il poursuit : « cela nécessite d’investir massivement dans la recherche, dans l’université, dans les secteurs industriels à haute valeur ajoutée»

Du côté des pays en voie de développement, il y a lieu d’organiser la même réflexion, la même recherche susceptible d’alimenter par ses résultats, les propositions de solutions que pourraient contenir les interventions et autres discours de leurs représentants dans les assises internationales.

Je voudrais conclure par une citation de Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’économie et ancien directeur général adjoint de la Banque Mondiale, qui, dans son livre publié en 2002, « La grande Désillusion », écrit ceci dans ses conclusions : « Aujourd’hui, la mondialisation, ça ne marche pas. Ca ne marche pas pour les pauvres du monde. Ca ne marche pas pour l’environnement. Ca ne marche pas pour la stabilité de l’économie mondiale…Il est clair que la stratégie de reforme doit marcher sur plusieurs plans. Le premier, c’est la transformation de l’ordre économique international ». C’est dans cette direction que les réflexions que vous venez d’entendre ont été conçues.

Merci de votre attention.

E. NJOH-MOUELLE

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