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Conference Culture et éducation

Conference Culture et éducation

Thème : LA DEMANDE MASSIVE D’EDUCATION CONFRONTEE A LA NECESSAIRE SAUVEGARDE DE SA BONNE QUALITE.

Quand Hamidou Komidor Njimoluh s’engage à étudier la question des fonctions politiques de l’école au Cameroun et qu’il soutient sa thèse de doctorat en 1979 à l’Institut d’études politiques de Paris, il est loin d’imaginer que cette étude conservera très longtemps une permanente actualité. Cela est plus particulièrement vrai de la difficulté de réaliser l’adéquation entre la demande massive d’éducation et la sauvegarde de la bonne qualité de celle-ci.
            De même, si le cadre géographique de l’étude a été son pays le Cameroun, il n’en demeure pas moins vrai que de nombreux autres pays africains sont susceptibles de se retrouver dans tout ce qui est dit de l’expérience camerounaise.
            Dans la logique chronologique de son étude, l’auteur est fondé à distinguer deux périodes que différencient les visions des fonctions de l’école. L’école de la période coloniale a pratiqué une politique qui a été qualifiée d’élitiste après coup, parce qu’elle faisait une offre très réduite d’éducation par rapport à ce que pouvait être la demande. On sait que les besoins d’auxiliaires divers aux côtés des maîtres coloniaux justifiaient seuls, cette faible offre d’éducation et qu’il ne saurait être suggéré aujourd’hui que ce fut une politique volontariste et explicite d’élitisme. Le fait est cependant  que cette limitation expresse des effectifs scolarisables permettait le respect du ratio normatif maître / élève garantissant une bomme qualité de la formation. La période postcoloniale de prise en mains des affaires de leurs pays par les nationaux, s’est caractérisée, elle, par une politique de démocratisation de l’accès à l’école, c’est-à-dire une volonté de proposer une plus grande offre d’éducation à la jeunesse scolarisable.
            Nous nous trouvons toujours dans la période postcoloniale et je peux affirmer sans craindre de me tromper, que nulle part, en Afrique, on n’a abandonné cette orientation politique de démocratisation de l’accès à l’école. Il s’est agi et il s’agit toujours d’une démocratisation qui vise à détruire les déséquilibres observées entre les régions, administrativement et sociologiquement parlant, les villes et les campagnes, les garçons et les filles.
            En partant des deux premières décennies qui ont suivi l’accession à l’indépendance jusqu’à nos jours, les données chiffrées traduisent une augmentation notoire des effectifs scolarisés qui correspond elle-même à une augmentation significative de la population globale chaque fois, dans divers pays.
            Quelles sont les difficultés qui, hier, ont pu compromettre la satisfaction de la demande d’éducation par une offre conséquente ? On ne pouvait pas multiplier le nombre d’écoles et le nombre de salles de classes sans avoir formé suffisamment de maîtres pour y enseigner. On ne pouvait pas non plus inscrire au profit de la seule éducation nationale, la totalité des sommes prévues chaque année pour le budget des Etats. A ce sujet précis, Hamidou Komidor Njimoluh écrit « La massification de l’éducation a été telle qu’il aurait fallu en 1965 par exemple, investir tout le budget de l’ex-Cameroun oriental étalé sur plus de cinq ans pour aplanir la situation : à savoir, multiplier la capacité d’accueil du système scolaire par la construction de nouveaux locaux et recruter de nouveaux maîtres. Pour éviter ce suicide budgétaire, on a dû consentir au maintien d’un ratio élèves/ maîtres très élevé dont la moyenne générale se situe entre 50 et 60 élèves par maître, mais qui, selon les classes et les régions atteint souvent le chiffre pléthorique de 120 élèves par maître » (p. 316)
            J’ouvre ici une petite parenthèse pour dire que pour tout agent développeur, pour tout responsable à quelque niveau que ce soit, le développement s’inscrit dans une logique permanente de recherche de conciliation de l’Un et le multiple. A la multiplicité des besoins s’articule une multiplicité de structures et de domaines. (L’éducation, la santé, l’agriculture, les transports, etc). La multiplicité des domaines et des structures elle-même donne lieu à une multiplicité de programmes. Le développement doit se vouloir global et non sectorisé ou sectoriel. Développer l’agriculture seule ou l’éducation seule n’est pas développer un pays.
            C’est dire que des difficultés identifiées telles que l’insuffisance des moyens financiers feront toujours partie de l’environnement de tous les chantiers de développement et de tous les systèmes de gouvernance. Le nombre d’écoles et de salles de classes n’a pas cessé d’augmenter année après année, de même en ce qui concerne le nombre d’enseignants. Mais pendant ce temps, le taux de croissance de la population a continué de bénéficier des progrès et des améliorations dans le domaine de la santé en général et de la réduction de la mortalité enfantine en particulier.
            Ce qui veut dire que l’offre d’éducation a continué de se faire à travers la construction annuelle de nouvelles écoles et surtout de nouvelles salles de classes. Mais la demande d’effectifs correspondants d’enseignants a-t-elle toujours été satisfaite ? Hélas, non ! Surtout quand sont survenues les conditions draconiennes du Fonds Monétaire International, pendant les périodes d’ajustement structurel. Le Programme d’organisation des effectifs,(POE), sous entendu de la Fonction Publique, visait à réduire la masse salariale pour privilégier le remboursement de la dette des Etats ; il  imposait donc partout la suspension des recrutements, sans oublier le recours à des mises à la retraite anticipées et aux compressions par licenciement. C’est ainsi que les écoles normales d’instituteurs et d’instituteurs adjoints ont dû suspendre temporairement leurs recrutements ici et là. Ce qui ne pouvait qu’aggraver l’une des conséquences récurrentes de l’inadéquation entre la demande et l’offre d’éducation, je veux parler des effectifs pléthoriques des salles de classes, tant dans le cycle primaire que dans le cycle secondaire. Alors que l’optimum se situe entre 30 ou 35 élèves par classe, la situation étudiée dans le livre de Hamidou Komidor Njimoluh n’a pas changé, toutes proportions gardées ! Si à l’époque les effectifs pléthoriques se chiffraient déjà autour de
            Il s’ensuit de nombreux redoublements et de nombreux abandons de l’école entraînant une inexorable rechute en analphabétisme !
            Ce qui s’appelle démocratisation de l’accès à l’éducation s’aggrave de nos jours, du fait de l’électoralisme ! Des députés en quête de réélection sont poussés à demander aux responsables du secteur de l’éducation la création de nouveaux établissements dans leurs localités. Et quand une campagne électorale présidentielle s’approche, on assiste à l’annonce de multiples créations d’établissements parfois non suivies d’effets. Quand bien même des ouvertures d’établissements s’ensuivent, des locaux ayant été construits, c’est l’affectation des enseignants en effectifs et qualifications  conséquents qui ne suivent pas, ou tardent à venir !
            Observons un premier arrêt ici pour nous interroger sur ce qui est attendu par les promoteurs de la démocratisation de l’accès à l’école : est-ce l’instruction pour l’instruction et, en dernier ressort, l’instruction pour l’élévation du niveau de culture moyenne du peuple ? Ou alors, ce qui est attendu serait-il davantage du côté de l’adéquation formation / emploi ? Il faut bien se poser cette question ici, parce que les critères d’appréciation de la qualité des systèmes d’enseignement ont donné lieu à l’apparition des notions de rendement interne et de rendement externe. Les nombreux redoublements et les abandons traduisent le mauvais rendement interne. Peut-on pour autant dire que tous ceux des cohortes qui atteignent la fin des cycles sans avoir redoublé auront reçu une bonne formation et assimilé correctement ce qui leur a été enseigné ? De l’autre côté, l’inadéquation entre la formation et l’emploi traduirait le mauvais rendement externe. Oui, mais les offres d’emplois dépendent du dynamisme des économies. Et, aussi longtemps que les pays africains s’enfermeront eux-mêmes dans une vision de développement essentiellement fondée sur l’agriculture et sans le souci de franchir le seuil qui conduit à l’agro-industrie, l’inadéquation entre la formation et l’emploi ne pourra que s’aggraver. En disant cela, je ne pense pourtant pas que le seul développement industriel envisageable réside dans le domaine agro-alimentaire ! L’adéquation formation/ emploi s’améliorera significativement le jour où les pays africains accèderont véritablement à l’ère industrielle au-delà de l’agro-alimentaire. On ne peut pas évoquer le passage au niveau de « pays émergents » si on ne conquiert pas les parts de marché mondial en termes de produits manufacturés dans divers domaines. L’école continuera à lancer sur le marché de l’emploi des diplômés non demandés aussi longtemps que les économies africaines demeureront au stade pré-industriel
            Il n’empêche que la nécessité d’améliorer le rendement interne des systèmes éducatifs demeure une contrainte qui se justifie en elle-même. Car améliorer le rendement interne du système éducatif c’est améliorer la qualité des formations dispensées. Je vais rester au niveau de l’école primaire pour évoquer les résultats d’une étude commandée par la Conférence des ministres de l’Education des pays francophones, la CONFEMEN.
            En 1999, le Programme d’Analyses des systèmes éducatifs, (PASEC) mis en place par la CONFEMEN a déposé les conclusions d’une enquête dont je vais succinctement considérer quelques propositions. Dans un second et dernier moment je vais considérer une tentative de résolution globale du mauvais rendement externe et du mauvais rendement interne. Il s’agit de la tentative de reforme en profondeur du système éducatif camerounais qui avait reçu comme nom de baptême : « la ruralisation de l’enseignement ». Le livre de Hamidou Komidor Njimoluh en a rendu compte.
            L’étude conduite sous les auspices de la CONFEMEN par le PASEC n’a pas abouti à une proposition de reforme globale quelconque. Elle a concerné les cinq pays que sont le Burkina Faso, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Sénégal et Madagascar. L’analyse a porté sur la cinquième année de l’école primaire, à savoir le CM1. Le PASEC s’est limité à proposer des mesures susceptibles d’être combinées, selon les contextes. La préoccupation des coûts a prédominé d’une manière générale dans leurs propositions. Il faut dire que leur étude s’est voulue ouvertement économétrique. Elle a proposé, entre autres :
L’abandon de la politique des redoublements. Les redoublements s’élevaient à la proportion de 20% en 1999 pour l’Afrique francophone en général. Les redoublements sont coûteux, dit le Rapport ; ils créent en outre des pertes de scolarisation sans effets réellement positifs constatables sur les apprentissages.
Les programmes de formation des maîtres devraient faire l’objet d’une révision. Ce qui n’a pas été le cas dans les pays où on s’est contenté de simplement rallonger la durée de leur formation académique ; aucune efficacité supplémentaire n’en a été tirée.
Si les inspections pouvaient se faire tout le temps, ce serait une bonne chose. Les visites des classes par les inspecteurs primaires sont productrices d’effets positifs ; elles font monter de 14% du score moyen, la moyenne des scores des élèves; mais elles sont couteuses ! En outre, la formation et le recrutement de nouveaux inspecteurs, ainsi que leur envoi en mission d’inspection dans des régions éloignées entraînent des coûts importants !
Si pourtant il existe une mesure sur laquelle mettre l’accent aujourd’hui ce serait, à mon avis, sur celle de réactiver les inspections, tant au cycle primaire qu’au cycle secondaire. Les enseignants sont tenus en éveil quand ils savent qu’ils peuvent être inspectés à l’improviste.
Au sujet de la réduction des effectifs d’élèves par classe le rapport du PASEC a sorti une conclusion étonnante : « la restriction du nombre d’élèves entraîne des coûts sans entraîner des bénéfices significatifs » !! Autrement dit, selon le Rapport toujours, « Aucun effet positif n’a pu être attribué à une restriction du nombre d’élèves dans une classe ».
            C’est un résultat d’enquête qu’on peut se permettre de remettre en cause a priori. Comment imaginer qu’une classe de trente élèves ne donne pas de meilleurs résultats qu’une classe de 120 élèves ? La considération financière et économétrique ne devrait pas étouffer la recherche de la qualité !
            Heureusement, le même rapport du PASEC a fait d’autres préconisations moins soumises aux conditions de coûts et qui tiennent davantage aux aspects pédagogiques et qualitatifs. C’est le cas par exemple :
-Du rejet de la politique ou des mesures de double flux ou double vacations qui entraîne des effets négatifs sur l’apprentissage des enfants ( 11% du score moyen) à cause de la réduction du nombre d’heures de cours pour les élèves et de la charge supplémentaire que doit supporter le maître de la classe.
-De la préconisation de la mise à disposition des élèves, tant à l’école que dans les familles, des manuels scolaires et d’autres livres. Des bibliothèques mobiles devraient être utilisées. La disponibilité des manuels scolaires à la maison a permis de constater que le score d’un élève pouvait monter de 6% par rapport au score moyen. Ce constat est un fait qui tend à décourager la surexposition des élèves  à la radio et à la télévision.
            On peut s’étonner de voir les rapporteurs du PASEC faire comme si les manuels et les autres livres n’avaient pas de coûts pour les familles ou que les bibliothèques ambulantes tombaient du ciel.
            Il est également signalé le bénéfice à tirer de l’emploi des maîtres dans les régions dont ils parlent la langue, la préférence étant à accorder à l’affectation des femmes enseignantes dans les classes de filles.  Il ne me semble pas que ce soit à travers leur enquête que les rapporteurs du PASEC aient eu à vérifier sur le terrain l’effectivité de tels résultats. Il n’est pas certain que les enseignants, surtout dans le cycle primaire dans lequel l’enquête a été conduite, soient amenés à faire usage des langues parlées dans les localités de leurs affectations. Dans tous les pays concernés par l’enquête, à l’exception de quelques-uns tels que le Sénégal, la réalité sur le terrain est celle de l’existence de plusieurs langues locales. D’un autre côté, la séparation des classes de filles de celles des garçons semble aller en sens inverse d’une évolution que ne saurait stopper le fait de cette pratique dans quelques rares pays encore !
Le rapport souligne aussi le fait que l’existence des cantines  scolaires favorise l’apprentissage et lutte contre la malnutrition.
            Dans l’ensemble, quel sort a été réservé aux mesures préconisées par l’enquête commandée par la Conférence des ministres de l’Education de la Francophonie et en particulier dans les cinq pays qui ont fait l’objet de cette enquête ? Sont-elles de nature à atténuer le mauvais rendement interne des divers systèmes éducatifs étudiés ? On peut très bien interdire d’autorité, les redoublements de classe ; mais on va augmenter le taux des abandons. Et que deviennent ceux qui abandonnent ? La question du rapport maître/élève ne peut pas être réglée si vite en postulant que la réduction du nombre d’élèves par classe ne produit aucun résultat significatif, sous entendu, au plan de la qualité de l’apprentissage.
            En fait, peut-on dire que dans la situation des pays étudiés, il n’existe pas des cohortes d’élèves bien formés, même s’ils ne représentent qu’une faible proportion de privilégiés ayant bénéficié d’un encadrement étroit dans des classes à effectifs limités des écoles et des collèges privés confessionnels, voire de quelques laïcs aussi ( il est vrai que dans le laïc la plupart sont plutôt des commerçants …) ?. Tous ceux qui fréquentent des établissements publics ayant du mal à contenir le flux des demandeurs d’éducation gratuite ne subissent pas les conséquences fâcheuses des sur-effectifs et des redoublements. Ils bénéficient des meilleurs encadrements de familles, les parents étant eux-mêmes instruits et habitant pour la plupart dans des villes et non en campagnes.
            C’est pourquoi, au niveau de l’Etat, une des corrections qui pourrait et devrait être faite dans ce sens consisterait à créer des écoles, des collèges et des lycées pilotes qui recruteraient leurs élèves sur la base d’une sélection rigoureuse, pour être encadrés par des enseignants eux-mêmes intrinsèquement méritants et ayant fait leurs preuves. Et dans ces établissements, la mise en application des règles et le respect de toutes les normes pédagogiques seraient de rigueur. Ma conviction demeure que dans chaque pays, il devrait être réservé une attention particulière aux meilleurs, aux génies vite identifiés, pour un encadrement adéquat. Car sous prétexte de démocratisation, il serait de la plus grande injustice d’organiser le nivellement par le bas au lieu d’encourager l’aspiration vers les hauteurs de l’excellence.
            Mon second arrêt va consister à examiner la question  de la reforme qui s’est voulue globale au Cameroun au début des années 1970 sous l’appellation de « ruralisation de l’enseignement ». C’est parti du constat de l’inadaptation de l’enseignement à un monde qui était encore rural à 80%. Les deux sous-systèmes éducatifs hérités du double mandat délégué par l’ONU à la France et à La Grande Bretagne déversaient dans la rue de nombreux cas d’abandons de l’école qui n’étaient préparés à assumer aucune activité économique, même pas agricole. Quand le diagnostic s’est affiné au maximum, la reforme de l’enseignement s’est vue inscrite parmi les nombreux projets du IIIe Plan (1970-71 – 1975 – 76).Ainsi que l’a rappelé Hamidou Komidor Njimoluh dans son livre, non seulement le Cameroun avait bénéficié de l’expertise de l’Unesco pour ce projet, mais encore l’IPAR (Institut Pédagogique à vocation Rurale) fut créé grâce à l’aide du PNUD. Le projet de reforme baptisé «  ruralisation de l’enseignement » a été pensé comme une opération de développement global qui se donnait pour objectif la maîtrise de l’espace national en rétablissant l’équilibre inter-régional. « L’école coloniale a produit un certain nombre de déchets, notamment le dédain du travail manuel par les scolarisés. Sa diffusion elle-même se limitait à n’épouser que les contours des zones affectées par les transformations idéologiques que constituaient les agglomérations urbaines ». Dans son livre, Hamidou Komidor Njimoluh rappelle les fonctions qui furent assignées à l’IPAR, et qui s’imbriquaient les unes dans les autres. Elles allaient de la définition opérationnelle des finalités, des structures, des programmes et des méthodes d’enseignement, à la formation des instituteurs et des animateurs censés être les pionniers de la reforme. Entre temps, il aura fallu produire des auxiliaires du maître et de l’élève, à savoir des documents pour le maître et des prototypes de manuels scolaires pour l’élève. En prévision du recyclage des maîtres, il était prévu la réalisation des films pédagogiques, la production des cartes sérigraphiques et des séries de diapositives sur le développement du Cameroun.
            La reforme préconisait des méthodes actives dès l’école primaire, ainsi qu’une structuration des trois ordres d’enseignement sur fond du souci pratique de ce qu’on appelle aujourd’hui la professionnalisation. Il était question de former des jeunes gens qui fussent capables de continuer à apprendre tout seuls et tout au long de la vie.
            Ce  programme de reforme n’a pas été mis en pratique. Des critiques des nationaux Camerounais, parmi les élites des agglomérations urbaines, sans forcément en avoir saisi les tenants et les aboutissants, s’étaient mis à émettre de véhémentes critiques en dénonçant notamment le risque d’un enseignement au rabais venant aggraver la coupure entre la ville et la campagne. Ils ont craint que le concept de « ruralisation » ne signifie un abandon systématique du savoir au profit du savoir-faire.
            La reforme fut combattue de l’intérieur par des cadres nationaux de l’Education qui dénonçaient le fait qu’ils n’aient été associés que tardivement, prenant le train en marche et tout en étant considérés par les expatriés comme étant « incapables de saisir les subtilités d’une reforme qui requiert des techniques appropriées ».
            Il faut dire qu’au départ, et jusqu’en 1972, comme le rappelle Komidor Njimoluh, l’IPAR employait 15 experts de l’Unesco, 12 coopérants français qui se trouvaient bien au centre de la conception et de la décision, 1 Volontaire du Peace Corps et 1 Volontaire Allemand. Soixante-et-onze Camerounais étaient employés à des fonctions non-conceptuelles donc faiblement décisionnelles.
            Il y a lieu de regretter très sincèrement que ce fut pour des considérations extérieures au contenu interne de cette reforme qu’elle dût être abandonnée. Au nombre de ces considérations extérieures, comment taire celle qui fut peut-être la plus déterminante : le spectre de la perte de leur marché du manuel scolaire par quelques maisons d’édition célèbres basées à l’étranger ! Car en effet, les nouveaux programmes élaborés par l’Institut Pédagogique à vocation rurale (L’IPAR) allaient se faire éditer sur place à Yaoundé par Le Centre d’Edition et de Production pour l’Enseignement et la Recherche, (Le CEPER) !
La ruralisation proposée en 1965 au Cameroun conservait les programmes de base dans les disciplines fondamentales. Elle introduisait dès le primaire une pédagogie visant à créer chez l’enfant une attitude mentale faite de créativité et d’ouverture à diverses situations de la vie. Une nouvelle matière était crée et s’appelait « l’étude du milieu ».Le culte du travail manuel devait rompre avec la distinction condescendante entre le manuel et l’intellectuel Il allait inévitablement se produire des abandons en cours de cycles, mais la reforme préparait les jeunes gens à tirer leur épingle de ces situations. Je me demande si la mise en œuvre de cette reforme à l’époque n’aurait pas permis au Cameroun de mieux  faire face au problème du non emploi de tant de diplômés aujourd’hui.
            Je suis même persuadé que si la reforme avait été baptisée « décolonisation de l’enseignement »  ou autre chose du même genre, elle aurait eu plus de chance de se voir mettre en œuvre. L’étiquette trompetée de « ruralisation » a fonctionné comme un repoussoir.
            La fonction de l’école ne se situe-t-elle pas au-delà de la nécessaire adéquation formation/emploi ?
            Terminons en disant un mot sur ce qu’il faut considérer en tout temps comme la fonction principale de l’école, à savoir cultiver l’esprit de l’homme en vue de son épanouissement global. Komidor Njimoluh le rappelle avec raison : dans la cité grecque antique, « l’école a désigné primitivement un endroit de loisirs, de repos ou de cessation de fatigue physique et, par extension, l’école a signifié le moment propice à l’activité de l’esprit, à la lecture, aux arts, à l’étude ». A partir de là il est facile de comprendre qu’en devenant une institution sociale, l’école ait été mise au service de toutes les composantes de la société pour contribuer prioritairement à faire reculer l’ignorance et à contribuer, par la connaissance, à la libération perpétuelle de l’homme.
            C’est la fonction la plus noble de l’école, celle-là même qui reste valable même si elle ne donne pas lieu à l’adéquation formation/emploi. En réalité, la formation de base , encore appelée formation initiale, devrait quant à elle continuer de se préoccuper de l’insertion des apprenants dans le circuit de la production tout en contribuant à leur épanouissement intellectuel ; et c‘est à ce niveau de la formation de base que les réformateurs de la ruralisation avaient raison de préconiser des méthodes préparant l’enfant à continuer d’apprendre par lui-même tout au long de la vie et à savoir s’adapter à toutes les évolutions de son monde. Un aspect de l’éducation sur lequel l’Unesco a mis un accent très appuyé dans le passé. Et aujourd’hui plus qu’hier, avec la mondialisation et la grande révolution intervenue dans le domaine des techniques de l’information et de la communication, avec l’Internet, qui peut dire que l’aptitude à apprendre tout au long de la vie ne mérite pas d’être cultivée dès les premières années de l’école.

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