Interview donnée le 18 Nov.2004
au Quotidien « LE MESSAGER »
A l’occasion de la célébration de la Journée
Internationale de la philosophie
Pour comprendre les fondements de la journée internationale de
la philosophie, le messager a sollicité l’éclairage
du Pr. Ebénézer Njoh-Mouelle. Le philosophe camerounais
va au-delà de cette journée et lève un pan de voile
sur le Cercle camerounais de philosophie qu’il a mis sur pied en
1995 pour rapprocher la pensée philosophique de la réalité quotidienne
des populations.
UNE SOCIETE DEMOCRATIQUE A TRAVERS LA PHILOSOPHIE
Pourquoi une journée internationale de la philosophie
?
C’est une initiative de l’Unesco et nous en sommes à la
troisième édition. Alors, pourquoi cette initiative ? le
souci de l’Unesco est de promouvoir la réflexion philosophique
auprès d’un large public ainsi qu’à éclairer
le rôle de cette discipline dans notre vie quotidienne.
Quel peut être l’intérêt d’une telle
journée pour les Camerounais dans un contexte de pauvreté ?
Il va sans dire que les premiers camerounais intéressés
sont les lycéens, les étudiants et leurs professeurs, dans
les établissements secondaires et les universités. Déjà,
l’année dernière, le ministre de l’éducation
nationale avait mis un soin particulier à faire organiser les
manifestations de cette journée en association avec le Cercle
Camerounais de philosophie ; un concours de la meilleure dissertation à l’intention
des élèves des classes terminales fut organisé dans
tous les établissements. Il en est de même cette année
encore. Je saisis cette occasion pour rappeler également que le
Cercle camerounais de philosophie( CERCAPHI) avait de son côté organisé l’année
dernière toujours, deux tables rondes autour de deux thèmes
généraux : Philosophie et vie quotidienne pour la première,
et Philosophie et pensée de la crise, pour la deuxième.
Nous avions également mis en scène une pièce de
théâtre, adaptation sur scène du texte de Platon
: l’Apologie de Socrate qui est inscrit au programme des terminales
A, tout comme mon essai sur la signification humaine du développement
intitulé « De la médiocrité à l’excellence ».
En ce qui concerne la présente journée, celle du 18 Novembre
2004, le Cercle camerounais de philosophie organise au Centre culturel
camerounais, une après-midi intellectuelle avec à son programme
: Une lecture spectacle de quelques courts textes célèbres
de philosophes qui sera immédiatement suivie de la conférence
du Dr. Ndzomo Mole, Inspecteur national de philosophie et membre actif
de notre Cercle. Alors vous faites allusion au contexte de pauvreté !
Eh bien, c’est petit à petit que la lumière peut
faire reculer les ténèbres, petit à petit que le
développement supplantera le sous-développement. La philosophie
contribue à sa manière à faire accélérer
la marche des choses.
Vous avez été conseiller technique à la présidence
de la République ; vos connaissances philosophiques ont-elles été utilisées
dans le cadre de cette fonction ? A quelle fin ?
Au moment où le président me fait venir à ses côtés
comme conseiller, je viens d’occuper pratiquement toutes les charges
académiques au sein de nos institutions universitaires. Le domaine
de suivi qui m’est attribué est précisément
celui de l’enseignement, de la recherche scientifique et de la
culture. Voyez-vous, je pense que le profil que je présentais à l’époque était
celui de quelqu’un qui possédait une expérience assez
consistante dans l’administration universitaire et académique.
Quant à la philosophie, elle agit en moi à travers la formation
intellectuelle et la tournure d’esprit qu’elle m’a
permis de cultiver.
Vous avez été membre du Conseil Exécutif de l’Unesco.
Peut-on savoir quel rôle l’Unesco assigne à la philosophie
?
C’est exact ; j’ai été membre et même
vice-président du Conseil exécutif de l’Unesco. Une
expérience fort enrichissante et très formatrice.. ceux
qui visitent mon site web personnel peuvent y découvrir quelques
informations au sujet de cette expérience. Pour revenir à votre
question il faut que je commence par rappeler que l’un des tout
premiers directeurs généraux de cette organisation était
un philosophe français, du nom de Jacques Maritain. Ce fait mis à part,
il faut savoir que l’Unesco est, dans la famille des organisations
spécialisées des Nations Unies, celle qui se considère
comme la conscience morale de l’humanité. Elle se manifeste
par des déclarations qui sont des sortes normes éthiques
proposées à toute l’humanité. L’une
des dernières déclarations est celle par laquelle elle
se prononce contre les manipulations génétiques et en particulier
contre le clonage humain reproductif. Outre les déclarations solennelles,
l’Unesco a créé en son sein une commission mondiale
d’éthique des connaissances scientifiques et techniques,
venue renforcer le comité international de bioéthique.
C’est la philosophie qui est à l’œuvre dans toutes
ces activités normatives et éthiques. Il faut que j’ajoute
l’information sur la réflexion actuellement en cours dans
cette maison et consistant à redéfinir la « Stratégie
de la philosophie de l’Unesco ». J’ai moi-même été saisi
d’un questionnaire issu du siège et destiné à faire
procéder à la consultation la plus large possible en milieu
philosophique, en vue de définir les actions nouvelles qui s’imposent à la
philosophie, dans sa mission au sein de l’Unesco.
Des travaux ont-ils été menés par l’Unesco à partir
des connaissances philosophiques pour aider à la lutte contre
la pauvreté ?
En ce moment même, le programme de philosophie de l’Unesco
est axé sur le projet sur la pauvreté et les droits de
l’homme. Personnellement j’estime que la pauvreté,
tout le monde sait ce que c’est. Faut-il encore faire des études
sur la pauvreté avant de s’attaquer à elle ? Les
quartiers insalubres des villes, les enfants de la rue, l’habitat
précaire, etc. sont des réalités qui crèvent
les yeux au quotidien. Ce qui manque le plus ce sont les capitaux pour
engager ici et là les travaux et les projets qui s’imposent.
Vous dirigez le Cercle camerounais de philosophie (CERCAPHI).
Dans vos programmes, quelle place accordez-vous à la lutte contre la pauvreté ?
Les travaux auxquels se livrent notre Cercle ne peuvent être que
des travaux de réflexion, d’analyse théorique et
aussi de pédagogie , en direction des jeunes des lycées
et des facultés. Le combat contre la pauvreté ne peut être
qu’indirect ici ; étant entendu que, ainsi que je viens
de le dire, la pauvreté, ça se combat à travers
des programmes concrets d’action qui demandent leur financement.
Que peut faire un philosophe sinon philosopher ?
Quel rôle joue le Cercle dans la société ?
Outre ce que je viens de dire, le Cercle camerounais de philosophie œuvre
dans le sens de promouvoir une société démocratique à travers
les débats d’idées qui devraient davantage faire
partie du quotidien des gens.
Que peut faire le Cercle pour inciter les jeunes générations à embrasser
la philosophie comme spécialité ?
Il existe un cycle de conférences que le Cercaphi organise chaque
année dans les établissements d’enseignement secondaire,
et à l’intention des élèves des classes terminales.
L’année 2004 m’a vu me rendre personnellement au lycée
classique de Dschang et à l’INTAC de Douala. Jusqu’à l’année
2002, nous avons organisé pendant une semaine au mois de Mai,
et avant les examens, des après-midi de philosophie au cours desquels
les professeurs de lycée permettaient aux candidats au bac de
bénéficier des explications des textes au programme. Et
puis, comment passer sous silence le « Café philo » que
le Centre culturel français organise tous les derniers mardis
du mois avec le concours de notre Cercle ? le mois dernier, soit le 26
Octobre, Marcien Towa était l’invité de ce « café philo ».
Je pense que c’est lorsque les jeunes gens voient comment fonctionnent
les philosophes qu’ils ont dans leur contexte social qu’ils
peuvent se trouver ou non une vocation.
Vous avez un site personnel sur lequel vous dialoguez avec
de nombreux internautes à travers le monde. Quel est votre
objectif ?
Il faut marcher avec son temps et se mettre en permanence à l’école
de la modernité. Le site personnel me permet de mieux faire connaître
ce que j’ai écrit au- delà du Cameroun L’objectif
premier c’est cela. En second lieu, quand on aime l’ordre,
il faut dire qu’avec cet instrument, on est gâté.
Si on veut être sûr d’avoir conservé quelque
part tel ou tel texte, au lieu d’aller chercher dans les tiroirs,
parfois au hasard… on se fie à son site. Et puis, quand
on est un homme dialoguant, on prend plaisir à échanger
rapidement et facilement avec des correspondants situés aux quatre
coins du monde. Vous me donnez l’occasion de rappeler ici l’adresse
de ce site : www.njohmouelle.org.
Propos recueillis par Marie Noëlle GUICHI
retour |