Interview
donnée au
bi-hebdomadaire La Nouvelle Presse
N° 185 du mercredi 10 Novembre 2004, après la prestation de
serment par le président Biya
PR. E. NJOH – MOUELLE : "LA PRESTATION DE SERMENT EST LOIN
D’ETRE UNE FORMALITE"
Philosophe de renom, ancien secrétaire général
du Comité central du Rdpc et ancien député du Nkam,
le professeur Njoh-Mouelle est connu de tous. Pour La Nouvelle Presse,
il jette un regard sur la signification du serment présidentiel
et la place du député dans l’espace politique.
L’Assemblée Nationale va recevoir le Président de
la République dans quelques jours pour la prestation de serment.
Une cérémonie que vous connaissez bien. Que représente
cet acte pour le député ? Est-ce un honneur ?
La prestation de serment par le candidat élu à la charge
suprême de président de la République est loin d’être
une formalité qu’on puisse ramener à ses aspects
protocolaires et festifs. Dans le fonctionnement d’une démocratie
c’est un moment empreint de gravité pour celui qui prête
serment tout comme pour ceux qui reçoivent ce serment. Ceux qui
reçoivent le serment ce sont les représentants du peuple
et de la nation entière d’une part, et les représentants
du pouvoir judiciaire à travers le Conseil Constitutionnel et
la Cour Suprême, d’autre part. L’alinéa 2 de
l’article 7 de la Constitution stipule plus précisément
ceci : « Il prête serment devant le peuple camerounais, en
présence des membres du Parlement, du Conseil constitutionnel
et de la Cour Suprême réunis en séance solennelle ».
C’est donc devant le peuple que le président élu
prête serment. Et, au nom de ce peuple, c’est le président
de l’Assemblée nationale qui reçoit le serment ;
pourquoi cette précision ? parce que la rédaction de cet
article a pris en compte le moment où les deux chambres qui constituent
le Parlement, avec leurs deux présidents, à savoir l’Assemblée
nationale et le Sénat, seront en place. Vous me demandez ce que
la prestation de serment représente pour le député ;
je crois que la réponse va de soi. Chaque député se
sent « peuple ». ; il est investi d’un pouvoir de représentation
qui, ce jour là, acquiert une visibilité fortement accrue.
Comment ne pas en éprouver une légitime fierté ?
On a l’impression que les partis politiques imposent généralement
un code de conduite à leurs députés. Or, dans votre
ouvrage « Député de la nation », vous écrivez à la
page 149 : « On ne doit pas oublier qu’un parlementaire est
d’abord un élu de la nation ». Est-ce à dire
que toute autre appartenance ( parti, circonscription électorale)
ne doit être considérée ?
Une partie de la réponse se trouve dans la phrase que vous n’avez
citée qu’à moitié. La phrase complète
que vous auriez pu reproduire est ainsi rédigée : « On
ne doit pas oublier que tout parlementaire est d ‘abord un élu
de la nation, un député national, même s’il
est, à la base, l’élu d’une circonscription ».
Vous me donnez l’occasion de rappeler que ce que j’ai écrit
s’en est pratiquement tenu à la lettre de la constitution
qui dit, en son article 15, paragraphe 2 : « Chaque député représente
l’ensemble de la nation » et précise au paragraphe
3 : « Tout mandat impératif est nul ». Le député vote
les lois qui s’appliquent à tout le monde dans la nation.
Bien évidemment, il provient d’une circonscription particulière
dont il défend les intérêts, le cas échéant.
Mais aucun mandat impératif ne s’impose à lui. S’agissant
des rapports du député avec le parti politique qui l’a
investi au moment des élections, ils se ramènent pour l’essentiel à l’observance
par le député de la ligne politique et des directives du
parti et s’expriment le plus nettement au moment des divers votes
dans les commissions et à l’hémicycle, au sein de
l’assemblée. Il n’est pas nécessaire de le
soumettre à un encadrement infantilisant, conscient qu’il
est du cordon ombilical qui le lie à sa famille politique. Tant
qu’il ne démissionne pas du parti auquel il appartient,
il est tenu de respecter, dans les circonstances qui l’exigent,
les consignes de la direction de ce parti.
Au vu de la large majorité actuelle du parti au pouvoir et ses
alliés à l’Assemblée nationale qui permettent
des rapports étroits avec l’exécutif, pensez-vous
que notre parlement joue pleinement son rôle ?
Le plus important, voyez-vous, réside dans la qualité du
travail et des projets présentés par le gouvernement. Car
il n’est pas dit que pour « jouer pleinement son rôle
, l’Assemblée doive se manifester par un rejet systématique
de tous les textes soumis à son examen. Dans tous les cas, l’essentiel
est qu’il y ait une majorité de gouvernement qui permette à celui-ci
de travailler, c’est-à-dire de faire passer ses projets
de loi. Souvenez-vous que la législature de 1992-97 est celle
pendant laquelle le RDPC a dû faire recours à une coalition
avec le MDR et l’UPC.Cette coalition a permis au gouvernement de
travailler et de faire passer, entre autres textes, la constitution de
1996. Le fait aujourd’hui, pour le RDPC, de disposer d’une
majorité confortable le met devant une responsabilité plus
grande encore ; et la bonne compréhension de cet enjeu voudrait
qu’on agisse de telle sorte qu’il ne puisse pas être
dit que c’est quand il entre en coalition avec d’autres partis
qu’il fait de bonnes lois mais qu’il est lui-même animé de
la volonté de bâtir du solide et du durable. Je crois, du
reste que le très bon score avec lequel le président Biya
vient d’être réélu témoigne du désir
des Camerounais de s’associer tous à l’accomplissement
des grands projets du second septennat du président Biya../.
Propos recueillis par Armand Amougou
Et Alain Mebenga
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