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Interviews politique

Interviews politique

LES CHANTIERS DU SEPTENNAT
« REDOUBLER DE SERIEUX DANS LA GESTION DES FINANCES PUBLIQUES »:
Pr. Ebénézer Njoh-Mouelle, philosophe

Professeur, que vous inspirent les « grandes ambitions » que propose le président Paul Biya pour son nouveau mandat ?

J’imagine les « grandes ambitions » dont parle le Président Biya sous la forme de grands projets du septennat qui commence. Ambitieux pour le Cameroun, le président veut l’être assurément et, sur cette voie, les Camerounais dans leur ensemble ne peuvent que l’approuver et le suivre en lui apportant leur soutien. Eux qui sont friands de tous ces projets mobilisateurs et rassembleurs dont ils ne demandent qu’à être de fervents supporters. Sept années de mandat présidentiel, ce sont sept exercices budgétaires comprenant, à côté du budget de fonctionnement, le budget d’investissement. Les exercices qui viennent de s’écouler, il faut le reconnaître, n’ont pas vu les budgets d’investissement se situer à un niveau qui pouvait permettre de réaliser de grandes choses. Les dotations inscrites n’auront pas pu être réalisées comme souhaité ; ce qui a entraîné le maintien de leur taux d’exécution bien en dessous de ce qui était chaque fois prévu. Il faut espérer que cette situation connaisse rapidement sa résorption pour qu’il soit possible d’imaginer, comme je le fais ici, l’alimentation, bon an mal an, d’une ligne budgétaire des grands travaux du président, tout à fait en marge du reste des divers budgets d’investissement à l’intérieur desquels tout ne peut pas être qualifié de grand projet. Comme vous vous pouvez le constater, je convertis donc les « grandes ambitions » du président en termes concrets de grands projets présidentiels. Je ne pense pas que vous attendez de moi que je définisse ou que j’énonce ici quelques uns de ces projets !

Lors de la campagne électorale précédant le scrutin présidentiel du 11 Octobre dernier, le président de la République a promis que les choses allaient changer. Quelles vous semblent être les priorités aujourd’hui pour une refondation de la société camerounaise ?

Je ne sais pas si c’est de la « refondation » de la société camerounaise qu’il faut parler ou d’autre chose. Je me dis simplement qu’à Monatélé, lorsque le président promet que les choses vont changer, il pense peut-être à tous les dysfonctionnements ayant pu être observés jusque là dans la marche des affaires du pays. Faut-il en énumérer quelques-uns ? Comment ne pas penser à la corruption généralisée, au laxisme et à l’égocentrisme de nombreux intervenants dans la conduite de l’administration publique et des affaires du pays, à la recherche systématique du contournement de la réglementation et de la loi, à l’énorme parasitage subi par les finances publiques (et j’utilise à dessein un euphémisme !).Les changements annoncés par le président Biya pourraient consister en une intensification de la lutte en vue de l’assainissement de cette situation qui n’est que trop connue des compatriotes, sous un rapport ou sous un autre !

Comment appréciez-vous l’évolution globale de la démocratie camerounaise ?

Les progrès réalisés par le Cameroun dans le domaine de la démocratisation de la société politique et économique, sous la direction et l’orientation du président Biya sont indéniables aujourd’hui. Lentement mais sûrement et surtout méthodiquement, notre société politique est passée d’un monolithisme de pensée unique, de parti unique, de presse unique, de radio unique , de candidature unique, de télévision unique, à une effervescence de pluralité d’opinions, de candidatures, d’entreprises de presses telles qu’on peut l’observer sans avoir besoin d’enquêtes particulières. La présidentielle qui vient de se dérouler a vu se manifester plus d’une quarantaine de candidatures ; ils furent seize à être retenus ! C’est beaucoup et cela pourrait s’expliquer par d’autres considérations qui n’ont plus rien à voir avec la démocratie en tant que telle. N’y insistons pas. Bien sûr, la démocratie ce ne sont pas uniquement les élections pluralistes. C’est aussi et surtout les libertés publiques, un parlement doté d’une réelle opposition qui joue pleinement son rôle et fasse entendre sa voix. Nul ne saurait le nier. Mais la démocratie c’est aussi l’acceptation de la règle du jeu et par conséquent l’acceptation de la défaite. Dans les démocraties avancées, quand les candidats battus félicitent leurs vainqueurs ce n’est pas parce qu’ils ne trouvent absolument rien à redire concernant la transparence ou les fraudes et que tout serait parfait sous ces cieux-là ! Tant s’en faut ! Il y a partout une marge d’imperfection et de déchets qu’il faut nécessairement intégrer et admettre, même si ce n’est un encouragement pour personne à chercher à jouer sur cette marge d’imperfection.

Petit à petit, une réelle culture démocratique aussi se mettra en place dans les esprits des uns et des autres. Car c’est bien à ce niveau qu’il faut signaler les insuffisances telle que cette contestation automatique des résultats chaque fois que les sortants l’emportent. Comme si en cas de défaite des sortants la preuve était suffisante pour dire qu’il n’ y a pas eu de distorsions ni de fraudes quelconques. Il faut récuser cette vision manichéenne des choses selon laquelle les anges seraient ceux qui frappent à la porte du pouvoir et les démons les tenants du pouvoir. Les Camerounais, pour ce qui nous concerne, sont les mêmes a priori ici et là-bas. Ils ne deviennent pas des saints pour avoir créé leur parti politique ou démissionné du Rdpc.

La culture politique demande à être encore renforcée en matière de protection des droits des citoyens dans leurs rapports avec les pouvoirs publics. Je pense à leur sécurité, de jour comme de nuit, dans la protection de leurs biens tout comme le respect de l’inviolabilité de leur domicile, dans l’impartialité des arbitrages prononcés par les tribunaux dans divers conflits les conduisant devant les juges.

Qu’est-ce qui manque le plus aujourd’hui à notre pays pour asseoir son développement et enraciner définitivement la démocratie ?

J’interprète votre question comme me sollicitant dans le sens de dire ce qui me semble être la cause ou les causes du ralentissement voire du freinage de l’essor économique du Cameroun ? Je dirais d’emblée qu’il nous faut tout faire avec le maximum de sérieux pour sortir notre pays des fourches caudines du Fonds monétaire international. En effet, depuis que le Cameroun est sous ajustement structurel et qu’il est allé de rattrapage en rattrapage des divers programmes, on peut dire que les effets escomptés à travers la réalisation des taux de croissance variant entre 4 et 5% ont semblé tout le temps annulés. Il faut tout faire pour que le Cameroun s’émancipe du FMI et retrouve rapidement la possibilité d’élaborer des plans économiques qui ne soient pas éternellement handicapés par un service de la dette extérieure étouffant. Des plans, tels qu’il s’en établissait avant l’intervention de l’ajustement structurel.

En second lieu, et c’est peut-être le plus déterminant, l’assainissement de la gestion de nos finances publiques est une action à poursuivre avec une détermination plus grande encore ! L’économie camerounaise, si on se réfère aux données des recettes fiscales engrangées chaque année, tourne à un niveau moyen, malgré la crise énergétique, la crainte des procès perdus d’avance par certains opérateurs économiques. Mais la vérité est que le recouvrement de ces recettes pourrait connaître une plus grande efficacité encore et limiter le taux de ses déperditions criardes. Des actions de lutte contre diverses formes de détournements des deniers publics ont commencé à donner quelques résultats. Mais l’hydre est monstrueuse ! Des entreprises de fabrication de faux documents associées à des réseaux tentaculaires de pillage des fonds publics ont proliféré ces derniers temps autour des administrations publiques : reclassements d’agents de l’Etat sur la base de faux diplômes, faux actes de naissance de leurs enfants pour d’illégitimes allocations familiales, multiples indemnités dans les bulletins de salaires, bref, masse salariale anormalement augmentée malgré le programme de réduction des effectifs… Il s’agit de faire disparaître à jamais ces pratiques « maffieuses ».

Si je reviens à votre question , vous me demandez « ce qui manque le plus aujourd’hui à notre pays pour asseoir son développement et enraciner la démocratie ». A la lumière de ce que je viens de dire, on peut voir que c’est le sens de l’intérêt général qui manque le plus. Il faut le restituer et remettre à sa place l’égoïsme des individus qui, comme une mauvaise herbe, a tout envahi dans le jardin public de l’administration camerounaise. Si c’est une forme de « refondation de la société camerounaise », je finirais par employer votre formule. Son contenu le plus visible est dans le peu que je viens de dire..

En ce qui concerne la dette extérieure du Cameroun qui se situerait à plus de quatre mille milliards de francs Cfa, je demeure persuadé qu’une saine gestion accompagnée d’une stimulation de certains secteurs d’activité tel que le tourisme, pourrait permettre d’en réduire très significativement l’ampleur. Aucune économie dans le monde n’arrive à se passer de l’endettement. Il n’ y a donc pas lieu d’inoculer une mauvaise conscience quelconque à des pays en voie de développement tels que le nôtre, à cause du niveau élevé de leur endettement. Le problème des pays comme le Cameroun se situe dans la rigueur ou plutôt dans l’absence de rigueur et de sens de l’intérêt général aggravé par la perte du sens du service public ; des qualités qui avaient caractérisé la fonction publique camerounaise pendant les premières décennies après l’accession à l’indépendance.

Quant à la démocratie qui revient dans cette question je voudrais m’en tenir à la réponse que j’ai donnée à votre précédente question.

Léopold Sédar Senghor soutenait que « la culture précède et conditionne le développement ». Partagez-vous cette analyse et l’évolution de la culture camerounaise vous donne-t-elle satisfaction ?

Quand l’exploitation d’une forêt se voit combattue par les riverains au motif qu’il s’agit d’un lieu sacré ou que le dragage du lit d’un fleuve soulève encore les riverains qui tiennent à protéger le lieu de repos des ancêtres supposés continuer de vivre dans ces eaux-là, nous avons affaire à une culture qui empêche le développement. Et, de fait, les croyances entrant en jeu ici : lieux sacrés, habités ou non par des « des morts qui ne seraient pas morts » précèdent et conditionnent négativement le développement. La culture dont il est question dans cette pensée de Senghor n’est pas à prendre comme renvoyant nécessairement aux livres et aux diplômes. Il s’agit des connaissances et des mentalités d’une manière générale. Les comportements des Camerounais à cet égard m’ont tout juste permis d’observer qu’aujourd’hui triomphe la tournure d’esprit du « chacun pour soi » dans les initiatives de développement. Beaucoup de projets communs ont rapidement cessé de fonctionner, les partenaires, impatients les uns comme les autres cherchant plutôt à voler rapidement de leurs propres ailes. Cela me fait venir à l’esprit fort à propos cet aphorisme tiré de la tradition africaine et que le Révérend Pasteur Ngué a rappelé dimanche dernier au boulevard du 20 Mai, lors du culte de clôture de la Semaine du protestantisme : « si tu veux aller vite, pars donc tout seul !Mais si tu veux aller lentement, pars avec des gens ! » Je suis précisément en train de dire que malgré les apparences, notamment l’existence de nombreuses associations et tontines en matière d’affaires et de développement, la plupart des Camerounais veulent réussir tout seuls, être rapidement des millionnaires voire des milliardaires. D’où l’impatience et la dérive en « feymania » et en pratiques maffieuses de toutes sortes. Or l’un des axes d’action importants encouragés par le président Biya se trouve dans la création par les jeunes des PME et PMI. Comment cette orientation pourrait-elle donner des fruits si ces jeunes gens eux-mêmes n’apprennent pas à à se mettre ensemble, à se compléter mutuellement dans le cadre d’initiatives communes au lieu que dès le départ chacun cherche plutôt à se mettre à son compte personnel pour jouer au PDG ?

C’est vrai, Senghor a eu raison d’écrire ce que vous dites. Le développement à promouvoir dépend énormément de ce que les uns et les autres se donnent comme représentations d’eux-mêmes, de leurs objectifs et des moyens pour y arriver . C’est ce qu’on a dans l’esprit qui fait agir les gens. La tribalité, le fort sentiment d’appartenir à une ethnie permet-ils de s’associer à des compatriotes n’appartenant pas à la même ethnie ? ce n’est toujours pas évident aujourd’hui encore ! Cela aussi constitue un regrettable frein au développement. Là où il y a un semblant de cohésion de groupe, on veut rester entre gens du même coin, les autres Camerounais étant perçus comme des étrangers, voire des espions ! Bref, individualisme, affairisme de mauvais aloi éloigné du vrai sens des affaires, pratiques maffieuses de tous genres, feymania, tribalisme, voilà quelques caractéristiques d’une mentalité et d’un état de fait du côté de la culture camerounaise du présent et qui appellent aussi des actions vigoureuses de redressement.

Mais je ne saurais passer sous silence, par rapport au développement toujours, ce que la plupart des observateurs des pays étrangers reconnaissent positivement à notre pays : l’existence d’un dynamisme indéniable porté par une classe d’hommes d’affaires nationaux qui ont su contribuer à la diversification de l’économie camerounaise. Ce dynamisme lui-même demande à être conseillé, encouragé et orienté vers des secteurs de plus grande diversification encore de notre économie.

Quelles perspectives entrevoyez-vous pour la démocratie et la nation camerounaise au regard des évolutions récentes ?

Le point focal en matière de démocratie tout au long du septennat qui commence sera certainement la mise en application des textes de lois sur la décentralisation. Le fonctionnement des conseils régionaux, pour ne parler que d’eux, marquera à coup sûr une étape déterminante dans le rapprochement du pouvoir de décision des populations. Au plan économique, les élus des régions vont avoir à décider eux-mêmes et pour l’intérêt bien compris de leurs électeurs, des priorités qui sont les leurs chaque année au moment d’adopter leurs budgets.

Si l’intérêt national a pu paraître lointain à certains protagonistes des passations des marchés publics, il est à espérer que l’intérêt régional parlera plus fort dans la conscience de tous ceux qui, au moment de passer des marchés, membres des commissions ou attributaires des marchés, ont souvent eu tendance à se servir plutôt qu’à servir. Cela ne va pas de soi et la même action de rigueur dans le contrôle des attributions des marchés telle qu’elle est en train de s’instituer au niveau national aujourd’hui, devra être appliquée au niveau régional.

Il ne faut pas se cacher le fait que la décentralisation entraînera un surcroît de dépenses publiques en raison de la multiplication des structures administratives. C’est une raison supplémentaire pour redoubler de sérieux dans la gestion de notre économie et des finances publiques en particulier.

Au-delà du débat théorique, quel peut être l’apport concret de la philosophie dans l’ancrage du Cameroun à la modernité ?

Je remarque qu’aucune des interviews que j’accorde ne se termine sans que j’aie à répondre de ce que la philosophie peut apporter. Je constate qu’il n’arrive pas aux interviewers de demander à l’historien par exemple de dire ce que sa discipline apporte à son pays alors même qu’au niveau de l’enseignement, par exemple, c’est une discipline qui, comme la philosophie, possède ses professionnels et qui enseignent. Mais je comprends une chose à travers la répétition de cette interrogation : la philosophie ne serait pas une formation intellectuelle comme les autres. Elle semble de tout temps devoir assumer une mission plus générale allant au-delà du gagne--pain qu’elle permet de garantir à ceux qui ont pour métier de l’enseigner. Cet au-delà, vous avez raison de l’apercevoir par un bout, dans le sens critique qu’elle permet de former, d’entretenir et qui est un gage de progrès des sociétés. On a toujours dit que grâce à l’ouverture d’esprit et à la capacité d’analyse qu’elle permet d’acquérir, la philosophie peut mener à tout. Dans le monde les philosophes servent dans diverses situations y compris managériales, car en réalité, avec le simple bon sens, naturel ou cultivé, on peut faire face à diverses situations, la différence entre les individus provenant toutefois des équations personnelles que rien n’efface. Car il ne faut pas non plus croire que la philosophie est une entité métaphysique qui agirait identiquement chez tout le monde. Il n’ y a pas de philosophie dans l’abstrait. Il n’ y a que des philosophes de chair et d’os, chacun avec son tempérament, ses aspirations, son histoire personnelle..

Pour la modernité du Cameroun, les philosophes ne peuvent que proposer leur lecture de l’évolution des affaires, la conceptualisation et l’interprétation des évolutions qui se déroulent sous leurs yeux, afin de proposer des visions globales qui servent à envisager l’avenir./.

Propos recueillis par MAKON ma PONDI

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