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Interviews politique

Interviews:Culture et de l'éducation

INTERVIEW POUR LA REVUE HIOTOTI
(Interview sollicitée par la revue littéraire Hiototi pour son édition de Mai-Juin 2006. La revue Hiototi est une publication de l'association dénommée"La Ronde des poètes")

La revue Hiototi s’est rapprochée du président d’honneur de la Ronde des Poètes, le philosophe Ebénézer Njoh-Mouelle, auteur de plusieurs essais dont le plus connu reste incontestablement celui sur la signification humaine du développement intitulé « De la médiocrité à l’excellence », inscrit au programme des classes terminales du Cameroun ainsi que de certains autres pays africains. On dit de lui qu’il est toujours d’actualité, non pas seulement grâce à son activité intellectuelle incessante, mais peut-être aussi grâce à son engagement politique qui l’a conduit à solliciter et à conquérir un mandat électif lui ayant permis de vivre une expérience de député à l’Assemblée Nationale. Une expérience au terme de laquelle il a publié son « Député de la nation » aux Presses de l’Université catholique d’Afrique Centrale, le best seller de l’année 2002, devenu un livre de chevet pour de nombreux nouveaux élus de la magistrature en cours. La revue Hiototi s’honore de recueillir ici ses réflexions sur les monuments et leur place dans notre contexte camerounais.

Dans quelle catégorie philosophique peut-on classer les monuments, autrement dit, est-ce qu’il existe une philosophie des monuments ?

Le monument ou les monuments, c’est la mémoire ; c’est le passé qui ne doit pas passer ; que les hommes ne veulent pas voir passer. Je pense ici aux événements, aux héros de ces événements. Mais un monument peut également être érigé pour magnifier une valeur, une idée et faire en sorte qu’elle soit présente perpétuellement dans le quotidien des gens. Dans ce cas, le monument n’est plus seulement le passé, c’est aussi le présent et l’avenir. Je pense à la statue de la liberté à New York, le sphinx en Egypte. Le monument peut également être dédié à l’illustration de ce que la créativité de l’homme peut réussir dans l’ordre de la perfection. Je pense à la Tour Eifel à Paris. Je pense à ces autres ouvrages d’art tels les ponts suspendus au-dessus de grandes étendues d’eau, alliant le pragmatique à l’esthétique. Je ne considère pas le pont sur le Wouri, à Douala, comme une telle réalisation.

La question des monuments peut-elle s’inscrire dans la démarche du philosophe qui s’intéresse au développement comme vous le faites dans votre œuvre ?

L’histoire récente de nos pays impose que nous en fixions sous cette forme certains de ses grands moments. Je pense à ses héros en particulier. Je pense à ceux qui ont combattu pour l’accession de tel ou tel pays à l’indépendance. Chaque chef-lieu de région pourrait construire un monument trônant au cœur de la place de l’Indépendance. Je pense aux pères du nationalisme camerounais, depuis la pendaison de Rudolf Douala Manga jusqu’à l’assassinat de Ruben Um Nyobe dans le maquis. Il faut penser aux générations futures et à l’enseignement de l’histoire nationale. Comme vous pouvez vous en rendre compte, ce n’est pas une affaire de philosophe seulement, mais de l’historien aussi. Il est vrai que les préoccupations du présent sont les plus absorbantes. Pendant les arbitrages budgétaires, il n’est pas évident que tout le monde accepte facilement de privilégier aussi cette rubrique pour laquelle le responsable du tourisme se constituerait avocat défenseur numéro UN !

Le monument définit de manière singulière le lien de l’homme avec le temps et l’espace.. Comment percevez-vous ce lien et comment, à votre avis, ce lien structure-t-il l’être du Camerounais ou de l’Africain aujourd’hui ?

Par le monument qui est une structure spatiale, l’homme entend fixer le temps qui passe ; immobiliser l’essentiellement mouvant. Est-ce qu’à travers cette astuce l’homme s’imagine se rendre lui-même plus ou moins maître du temps, à défaut d’être éternel ? Ce n’est pas impossible. Le monument est une sorte de projection au dehors d’une sorte de rêve d’éternité, Ferdinand Alquié, mon maître d’antan, aurait parlé de désir d’éternité. Vous me demandez si le Camerounais aussi se retrouverait dans cette perception du monument dans son rapport au temps et à l’espace…Je pense que le citoyen camerounais n’est pas indifférent au monument qu’on lui construit. Dans les villes, on le voit profiter de tels espaces pour s’y promener ; la place de l’indépendance à Bonanjo-Douala et la place de la communauté urbaine à Yaoundé attestent de ce que je dis. Il est vrai qu’en fait de monuments implantés dans ces deux places, la statue du maréchal Leclerc notamment à Bonanjo-Douala, ce n’est pas des merveilles. Mais les baladeurs s’y intéressent d’une certaine manière. Le problème n’est pas de leur côté ; le problème se situe au niveau des responsables devant songer à doter les villes du Cameroun de monuments dignes de ce nom. Comme je viens de le dire, les places de l’indépendance devraient être aménagées un peu partout et se voir ornées d’imposants monuments dédiés à l’indépendance ou à la réunification du Cameroun, par exemple. C’est l’affaire des responsables qui ont tendance à considérer que ce n’est pas une priorité, ce en quoi ils n’ont pas raison.

Est-il possible qu’une civilisation solide se forge en marge de tout monument digne de ce nom ?

La nécessité d’ériger des monuments ne précède pas l’Histoire, elle en découle.
Il est vrai aussi que pour l’une des catégories de monuments que j’ai distinguées au début, à savoir la mise en relief de telle ou telle valeur, (la statue de la liberté), cela peut se faire au début d’une Histoire pour en marquer l’orientation philosophique ou idéologique.

A votre avis qu’est-ce qui est responsable de l’amonumentalité de notre civilisation ?

Peut-être la marque encore présente du caractère oral de notre civilisation ? La parole pourtant s’envole, les écrits comme la pierre travaillée restent. Peut-être aussi que l’insuffisance du développement technologique y est pour quelque chose ? Je crois que cette seconde explication est à prendre en considération. Quand nous contemplons les restes de la cité de Tombouctou, nous ne pouvons que trouver des raisons supplémentaires pour parler de la technologie. Nos matériaux de construction sont demeurés essentiellement périssables Le fait d’invoquer l’Egypte ancienne et le rôle que les Noirs y ont joué ne change rien à cette réalité. Il s’agit d’édifier l’Afrique d’aujourd’hui. La modernité s’impose à nos architectes. Mais il revient aux divers responsables et décideurs de solliciter les architectes dans ce sens.

Les monuments sont-ils essentiels et/ ou nécessaires à la vie et à l’évolution d’une civilisation ?

Ce sont des repères et en tant que tels ils constituent un langage inscrit sur de la matière. Une matière animée d’une vie certaine ; celle que viennent y projeter ou y retrouver les témoins et autres visiteurs de l’Histoire des hommes. Les monuments, c’est comme des livres à ciel ouvert. Même quand on ne sait pas déchiffrer ses hiéroglyphes, le plus important est qu’on ne passe pas devant eux comme devant des insignifiances. On pressent toujours qu’ils signifient quelque chose ; ils veulent dire quelque chose ; on peut les amener à dire ce qu’ils savent et doivent transmettre à d’autres hommes. Ce que fit Champollion.

La quête du surhomme qui est l’un des leviers de votre philosophie peut-elle s’opérer dans un contexte où le monument n’est qu’un banal élément du décor ou mis en danger de mort ?

Il est vrai que le culte de l’excellence auquel vous faites allusion appelle des réalisations qui donnent toute la dimension de ce que l’homme est capable de faire. J’ai souvent regretté, avec d’autres d’ailleurs, que nous soyons en train de faire disparaître toute l’architecture de l’époque coloniale. Il est vrai qu’en ce qui concerne les bâtiments administratifs de l’époque, ils occupaient des emplacements de choix tels qu’on ne pouvait pas toujours sacrifier les espaces concernés, sauf à déménager les quartiers administratifs et à aller créer ailleurs les nouveaux quartiers administratifs. Et pourquoi pas ? C’était une chose possible et qui aurait permis de laisser intacts les vieux quartiers qu’on pouvait alors entretenir comme de réelles reliques. Ce n’est pas le choix qui fut fait et on peut le regretter. D’autant plus que ce n’est pas l’espace qui manquait au moment où ces décisions se prenaient.

Qu’est-ce qui fait un monument ? La taille, l’événement qui l’a provoqué ou sa stature symbolique ?

L’événement peut inspirer un monument ; c’est par exemple la proclamation de l’indépendance du Cameroun. La taille de ce monument peut aller de pair avec une symbolique particulière qui pourrait le marquer (un homme brisant les chaînes de la domination et de l’esclavage : en choisissant de sculpter un homme plutôt qu’une figure allégorique on s’impose en même temps des limites en matière de taille et de dimensions du monument). Donc il ne s’agit pas de particularisations contradictoires.

La notion de monument peut-elle, au sens strict du terme, s’étendre aux rites, aux sites naturels, aux hommes, etc. ?

Au sens strict non ! Un monument est une œuvre architecturale ou sculpturale humaine. Le mont Cameroun n’est pas un monument. Si un homme peut être considéré comme un monument c’est par métaphore. Un monument de la musique ? Oui, Mozart, Manu Dibango, pourquoi pas ? Mais c’est au sens métaphorique.

Vous ne faites pas mystère de votre attachement à l’élément eau, singulièrement au Wouri. Ce fleuve peut-il être élevé au rang de monument ? Si oui, selon quels critères ?

Pas plus que le Mont Cameroun et pour les mêmes raisons, le fleuve Wouri ne saurait être traité comme un monument. Il relève de la nature, même s’il s’est laissé domestiquer par l’homme. C’est la rivière des crevettes, il est vrai, historiquement. Je suis frappé de voir que cette rivière a projeté ses crevettes jusqu’au Mont Fako, devenu lui aussi Mont Cameroun, mont des crevettes, lui aussi, par l’appellation. Regardez comment cette partie de la côte camerounaise, symbole du grand portail historique d’entrée dans notre pays, s’est arrangée à consolider son unité fusionnelle ! Je ne saurais manquer de féliciter ceux qui ont choisi pour la carte nationale d’identité informatisée le Mont Cameroun sur un côté et, sur l’autre, le pont sur le Wouri, schématisés bien sûr mais facilement reconnaissables.

Quel monument construiriez-vous, s’il vous était donné de le faire ?

Plusieurs idées de monuments hanteraient mon esprit : des monuments évoquant le passé douloureux de traite négrière transatlantique et de la période coloniale, par exemple. Des idées de monuments tentant de figurer la lutte pour la sauvegarde et l’affirmation de l’identité culturelle négro-africaine ; un énorme monument à concevoir et qui serait appelé « négritude », pourquoi pas ?Ou alors, cumulativement, des bustes de certains de nos distingués littérateurs, poètes et romanciers Et puis alors, en tournant le regard vers le présent et l’avenir, monumentaliser l’ère de l’explosion de tous les savoirs possibles et imaginables. Une sorte de Palais de tous les savoirs : une sorte de maison de la culture comprenant une bibliothèque, plusieurs salles de spectacles (concerts, théâtre, ballets,etc), des salles de conférence pour l’encouragement à la culture et l’information permanentes de tout le monde et de tous les âges , des possibilités d’hébergement de plusieurs clubs pour l’initiation des jeunes à la musique, aux arts plastiques, aux arts dramatiques, un ciné-club, etc L’architecture d’un tel ensemble devrait en elle-même être conçue pour signifier sa mission présente et future. Voilà, je ne pouvais pas vous proposer une seule réponse à cette question. Ici aussi, comme en toute chose, une vision globale s’impose et qui intègre les trois dimensions du temps./.

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