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Colloque philosophique

Colloque philosophique

LES IMPLICATIONS DE L’IDEE DE MONDE DANS LA MONDIALISATION

Par Ebénézer NJOH-MOUELLE

Introduction
. Le monde est notre construction, Kant l’a bien établi et c’est pourquoi il peut affirmer que « les phénomènes en général ne sont rien en dehors de nos représentations ».L’examen critique de l’antinomie Fini – Infini le conduit à tirer la conclusion établissant l’idéalité transcendantale du monde : « Si le monde est un Tout existant en soi, il est fini ou infini ; or, la première hypothèse, aussi bien que la seconde, est fausse. Il est donc aussi faux que le monde (l’ensemble de tous les phénomènes) soit un Tout existant en soi. Si le monde n’est ni fini, ni infini, c’est donc que sa conception comme totalité supposant une unité est le fait de l’homme. C’est par là que se comprend son idéalité transcendantale. Par sa phénoménalité, il est divers et multiple. Par son idéalité transcendantale, il exprime le projet épistémologique qui se présente comme un projet d’organisation.
          Ce rapide recours à  Kant, pour simplement rappeler cette vérité première selon laquelle le monde est un projet de l’homme, projet d’unification du divers sensible dans l’unité de la connaissance et du sujet connaissant. Et, en passant de l’optique de la connaissance par le sujet singulier à celle de l’action humano-socio-culturel par le «  collectif », le projet d’unification tend à se transformer ça et là en projet d’uniformisation, voire d’hégémonie.
        
Dans cette vision des choses où le monde est une construction de l’homme, quelle serait la finalité d’une mondialisation qui semble s’être installée prioritairement dans le domaine  économique et financier, pour la constitution  de l’unité du monde ? Serait-ce  pour garantir à toutes les régions de l’espace partagé, un même niveau de développement en mettant en œuvre cet autre corollaire de l’unité qui s’appelle la solidarité ? 
 
Le monde et l’idée d’unité
Indiscutablement, l’idée d’unité  se trouve au cœur de l’idée de monde  C’est d’abord l’indication d’une phénoménalité présentant une identité ne permettant pas de la confondre  avec une autre phénoménalité. L’unité serait par conséquent celle que confère son identité au phénomène, bien qu’il soit en lui-même un ensemble de phénomènes ne portant pas en eux leur raison d’être regroupés ensemble et encore moins de leur être- Un. Leur être- Un leur vient du donneur d’unité et du donneur de  sens qu’est l’homme.
         En parlant de donneur de sens et de donneur d’unité, nous soulignons la double nature de l’unité ainsi conférée : une unité  spatio-temporelle, unité de circonscription territoriale, de délimitation ou d’extension et puis, une unité de sens, d’organisation, de vision téléologique ou idéologique.
         Mais si le principe d’unité est au fondement de toute idée de monde, c’est qu’il sous-entend l’existence permanente d’une phénoménalité plurielle, multiple et diversifiée. Il s’agit de la phénoménalité plurielle qui a toujours permis de parler de la pluralité des mondes. Non pas forcément au sens où en ont parlé, par exemple, Bernard Le Bover de Fontenelle dans ses Entretiens sur la pluralité des mondes publiés en 1686, ou encore Camille Flammarion, dans son ouvrage intitulé, de manière plus explicite, « La pluralité des mondes habités », publié en 1862. La pluralité des mondes dont nous parlons ici est celle qui est repérable au sein du même monde que nous habitons, celui de la planète Terre. Nous pensons à ces mondes particuliers des villages et des contrées qui ignorent tout de l’éclairage électrique et du téléphone, le monde des pygmées des forêts africaines, les tiers-monde et les quart-mondes dans leur virtualité tout autant que dans leur réalité.  Des mondes spatialement et culturellement configurés dans leur unité, chacun, ainsi que des mondes plutôt virtuels, sans espaces communément partagés. Dans les deux cas, il apparaît que si l’espace est nécessaire pour abriter des mondes, leur unité déterminante leur vient  de l’adhésion de tous leurs membres à des valeurs culturelles communes.

         Le fait indéniable est donc que la mondialisation se déploie dans un contexte de pluralité de mondes, ne serait-ce que ceux, parmi les plus visibles, qui s’appellent le monde des pays riches et industrialisés, le monde des pays pauvres et vivant encore dans l’ère pré-industrielle, le cybermonde constitué de 88% d’internautes représentant seulement 17% de la population mondiale, le monde des croyances religieuses différentes, les bouddhistes, les chrétiens, les musulmans, les animistes, etc. La mondialisation est un ensemble de processus économiques, financiers, politiques, culturels, militaro-stratégiques visant à produire une nouvelle conscience de l’unité de ce monde pluriel. Elle s’est d’abord manifestée par l’extension rapide des échanges dès la fin des années cinquante, puis par le biais de la déréglementation et des privatisations des années soixante-dix et quatre-vingt. Les pays développés se sont préparés depuis longtemps à marcher vers le libre échange. En effet, depuis le début des années soixante jusqu’à aujourd’hui, les droits de douanes des pays industrialisés sont passés en moyenne de 40% à 4%( rapport de l’an 2000 fait au Sénat français), pendant que le volume des échanges mondiaux se voyait multiplier par dix-sept et la production mondiale par quatre. Cela veut dire que les marchés nationaux se sont davantage ouverts aux produits étrangers. Et, de tous ces marchés nationaux, ceux des pays en voie de développement  ont été amenés à pratiquer une plus grande ouverture que celle pratiquée par les pays développés. Cette tendance n’est pas prête de s’arrêter et encore moins de s’inverser, puisqu’il est question d’aller plus loin encore dans la chute des barrières douanières de certains pays en voie de développement partenaires de l’Union européenne.

Pluralité des mondes et recherche d’une unité de direction
.Ce qui se donne à observer permet de déceler, globalement parlant, une mondialisation dirigée, volontariste, sachant dans quelle direction elle veut faire évoluer tout le monde, et une seconde mondialisation tout à fait empirique, apparemment ignorante des conséquences de son déploiement. La première est celle qui s’installe dans l’espace économique, tandis que la seconde qui concerne les valeurs culturelles et le modelage des comportements semble être une authentique résultante des nouvelles technologies de l’information et de la communication. L’existence des nombreuses langues particulières ne véhiculant que des cultures minoritaires et ethniques, à côté des langues de grande communication internationale ne perturbe aucunement la première mondialisation. La pratique du culte des ancêtres par certains peuples, par le fait même qu’elle ne donne lieu à aucun prosélytisme, étant donné qu’il s’agit, dans leur essence, de religions ou de cultes familiaux, ne dérange personne à la ronde. Par contre, en ce qui concerne le second aspect de la mondialisation, aussi longtemps que son processus laisse l’impression de se dérouler au sein d’une nouvelle société caractérisée par son ouverture tolérante et par une curieuse apparence d’absence d’un pouvoir unifié, son fonctionnement se calque sur celui que produisent les lois du marché dans l’économie libérale, à savoir qu’il s’effectue une auto-régulation interne d’une telle société à partir des lois pas toujours explicites. On sait que pour le marché, c’est la loi de l’offre et de la demande qui joue, les nombreux pouvoirs politiques, eux-mêmes épousant plus ou moins mécaniquement les clivages de l’offre et de la demande au niveau mondial, lorsque chacun d’eux se soucie d’abord des intérêts des siens. Mais quelles lois joueraient donc dans le cadre de la société ouverte que semble instaurer la mondialisation ? Il existe ici aussi,  une sorte de loi duale qui engloberait  celle de l’offre et de la demande, à savoir celle opposant quotidiennement le faible au fort : économies fortes face aux économies faibles, maîtrise des technologies ici, faiblesse technologique en face, contrôle sans partage de tous les moyens de communication moderne par-ci, avec pour conséquences la promotion et la valorisation unilatérales des valeurs culturelles des forts aux dépens des valeurs culturelles manquant de soutien communicationnel du côté des faibles et, pour couronner le tout, puissance militaire associée à un pouvoir politique sans concurrents. L’opposition à jamais insupprimable du faible et du fort se résume dans le concept de rapport des forces. Un rapport des forces en train de s’étaler au grand jour, et aux dépens de l’Afrique, dans l’affaire de l’ONG dénommée l’Arche de Zoe, prise la main dans le sac au Tchad, dans une affaire honteuse et frisant le retour à la traite des nègres, mais qui voit voler à son secours de très hauts responsables de leur pays d’origine !
 Dans cette logique, quand on occupe une position de force, on tient à  maintenir l’écart avec tout partenaire moins fort et aspirant à devenir aussi fort que soi-même. Si la mondialisation recherchait une certaine homogénéisation-uniformisation des conditions et des statuts, elle ferait évoluer la situation dans le sens de la réduction des écarts de richesse en facilitant une nouvelle répartition spatiale des aires de production industrielle, par exemple, l’industrie étant le facteur le plus puissant de la création des richesses. Telle n’est point la caractéristique de la mondialisation économique qui, bien au contraire, ne fait qu’élargir le fossé qui sépare le monde des pays riches du monde des pays pauvres. Les pays développés n’ont aucun intérêt à faciliter l’émergence d’autres pays développés qui viendraient leur disputer des parts de marché ici et là, dans le vaste marché du monde.
Certaines valeurs culturelles ne sont pas abandonnées au seul jeu de l’offre et de la demande apparemment souple ; elles sont étroitement associées à la réussite du processus de mondialisation économique. Tel est le cas des valeurs politico-culturelles que sont l’idéologie de la démocratie et celle des droits de l’homme, sans oublier celle du droit d’ingérence humanitaire dont les dérives se multiplient sans cesse. Pour cet aspect des choses, la mondialisation ne manque pas de faire penser à un retour à une sorte de totalitarisme, synonyme de pensée unique et de violation des particularismes légitimes divers. La mondialisation ne se met en travers des différences culturelles que lorsqu’elles se présentent comme des freins au fonctionnement d’une unilatéralité de direction du monde. Par conséquent, les différences culturelles n’ayant aucun impact sur le contrôle de la marche du monde  continueront de donner une bonne conscience à ceux qui cherchent à justifier en tout temps, l’exigence du respect de toutes sortes de libertés instrumentales devant caractériser la société ouverte que semble construire la mondialisation.

Il ressort de ce qui précède que l’idée d’unité tend à ne fonctionner dans la société ouverte qu’en tant qu’unilatéralité de direction politique et économique.
                   Et que donne à constater l’interaction des forces en présence dans la  mondialisation par rapport à l’unilatéralité de direction qui en ressort et quant à l’adhésion à un certain nombre de valeurs essentielles ? Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles si nous n’enregistrions pas des conflits, des oppositions, des frustrations et des risques permanents de  guerres. Ces grincements dans les rouages semblent provenir d’une tendance à faire fonctionner le monde socio-humano-économique sur la base des lois de la nature comme s’il s’agissait de phénomènes physiques. C’est en effet une loi de la nature que celle de la domination du plus faible par le plus fort. Et l’actuelle phase de la mondialisation économique et de révolution informationnelle semble davantage attachée au renforcement de l’unilatéralité de direction des affaires du monde qu’à la réduction des disparités de conditions d’existence, comme déjà rappelé. Si l’unilatéralité de direction des affaires du monde ne se fait pas au niveau d’un gouvernement mondial, celui-ci se répartit à travers un certain nombre d’organismes mondiaux relevant de la grande famille des organisations spécialisées de l’Organisation des Nations unies, ainsi que de certaines conférences et rencontres informelles des plus hauts responsables des Etats. A peu près tous les Etats sont membres de ces organisations au sein desquelles se prennent des décisions concernant le destin de tous. Si l’arme du veto est visible à un seul niveau de ces organisations, à savoir le Conseil de sécurité des Nations Unies, il ne fonctionne pas moins en faveur des mêmes Etats dans toutes les autres organisations spécialisées des mêmes Nations Unies. La règle démocratique prônée avec le maximum d’exigence dans des contextes qui n’engagent pas les grandes puissances, se trouve battue en brèche dans toutes ces organisations au sein desquelles l’expression démocratique se limite étrangement à la liberté d’expression lors des débats, étant entendu que la décision ne se prend pas nécessairement de manière démocratique.

          On parle pourtant de gouvernance globale
                      Ce n’est certainement pas cela, l’expression de la gouvernance globale dont il est encore timidement question aujourd’hui. Peut-être n’a-t-on pas encore suffisamment accordé l’attention qu’elle mérite à la vision de la mondialisation comme globalité de sens ? Le global, ce n’est pas l’élément ou le détail. Le global, ce n’est pas non plus le tout découlant d’une totalisation des éléments. Si par le total et l’addition on entend une addition d’éléments, par le global et la globalisation on s’intéresse au sens et par conséquent à cela-même autour de quoi se bâtit l’unité. Nous retrouvons donc l’idée d’unité dans celle de globalité. On ne détaille pas la globalité comme on le fait de la totalité. Le global est une sorte de synthèse significationnelle.
                     Considérer la mondialisation comme devant se donner une globalité de sens c’est inviter à retrouver le principe sur lequel se fonde son unité. Il s’agit de cela seul en quoi chaque composante et plus exactement chaque être humain est supposé se reconnaître. Il ne saurait s’agir d’autre chose que de la communauté de destin de tous les hommes.
          S’il est vrai que la globalisation a d’abord été entendue sous un angle essentiellement financier en tant que globalisation financière constituant un marché mondial intégré des capitaux, elle a très rapidement été envisagée sous la forme d’une nouvelle gouvernance consistant à regrouper pour un traitement commun, un certain nombre de problèmes qui ne se posent d’emblée qu’à l’échelle mondiale et dont les solutions se situent au-delà des intérêts nationaux pour concerner l’humanité entière.
                         Lorsque Emmanuel Kant a imaginé l’existence possible des citoyens d’une même cosmopolis, il donnait encore une plus nette  visibilité à cette idée de communauté de destin, surtout que son traité Vers la paix perpétuelle préconisait la suppression des armées et par conséquent des équipements militaires.
                      Loin d’être la cosmopolitisation à laquelle Emmanuel Kant avait songé, la mondialisation envisagée comme globalisation, autrement dit encore comme la mise en commun ou la mise ensemble de ce que les humains peuvent considérer comme des biens essentiels, se doit de développer davantage qu’elle ne l’a fait jusque là, la capacité de solidarité entre les états et les nations.

          La solidarité renforce l’unité
                     En effet, jusque là, il ne s’est agi que de la juxtaposition des significations ou des visions que se donnent les différentes composantes de l’espace-monde ou de l’espace global. Sous le régime courant où tout se règle et s’administre suivant le principe naturel du rapport des forces, la valeur de solidarité n’a joué qu’un rôle la plupart du temps symbolique. La pratique de la solidarité symbolique des « Aide publique au développement », des dons et des remises des dettes, par exemple, doit céder la place à la pratique d’une solidarité structurelle dépendant certes de la volonté libre des uns et des autres, mais soustraite à toute contingence d’arbitraire. La conception de la solidarité que devrait induire « la mondialisation – globalisation » est une « affirmation – reconnaissance » de la nécessité de passer de  l’interdépendance à la commune dépendance des nations. Une commune dépendance qui n’aurait plus rien à voir avec l’interdépendance encore proche du fonctionnement mécanique des phénomènes régis par le déterminisme du monde physique, parce qu’elle devrait être l’expression libre d’une volonté  d’interdépendance  associée à la saisie du sens d’un devoir de solidarité.
                          De quelle solidarité s’agit-il ? L’idée de solidarité peut exprimer une dépendance ou une interdépendance de type physique entre l’élément et l’ensemble auquel il appartient. Mais son origine juridique lui a donné d’emblée un fondement non pas de nécessité physique, mais plutôt de d’obligation morale. En effet, la solidarité a d’abord décrit la relation entre débiteurs obligés au remboursement de la même dette, de manière telle que chacun puisse être contraint pour la totalité et que le paiement fait par un seul libère aussi les autres envers le créancier. La solidarité qui lie tous les êtres humains ainsi que toutes les nations qui partagent l’occupation du même espace mondial n’est inscrite dans la nature des choses, nous voulons dire physiquement, que pour ce qui concerne les groupes de faibles dimensions et présentant une homogénéité culturelle favorisant une forte cohésion sociale. Emile Durkheim a donné l’appellation de solidarité mécanique à celle-là, parce qu’elle s’exerce entre semblables. Qui se  ressemble s’assemble, comme dit l’adage populaire et, pourrait-on ajouter, ils se soutiennent dans la mesure où chacun se reconnaît un peu dans l’autre, voire se sent un peu l’autre.
                   En extrapolant tout cela au plan des relations entre les états et les nations, on pourrait dire que la solidarité mécanique ou entre semblables, est celle qui pourrait être observée entre pays développés d’un côté et, de l’autre, entre pays en voie de développement. On a pu observer la manifestation de ces solidarités entre les nations de niveaux de développement semblables, ou tout simplement comparables, à l’occasion de maintes conférences internationales, notamment celles de l’Organisation mondiale du commerce.
                   Dans l’optique des solidarités fonctionnant sur la seule base des ressemblances, on ne peut pas s’empêcher de relever une longue série de ressemblances partant de la biologie à la culture, en passant par les différents niveaux de pouvoir économique. Ainsi, les solidarités ethniques, religieuses, raciales et économiques  apparaîtront-elles souvent plus solides que la solidarité se fondant sur une ressemblance qui a parfois été malmenée en raison de la grande généralité et de la grande extension spatiale de son paramètre à savoir l’humanité, ou le fait d’appartenir au genre humain. (Diogène de Sinope arpentant les rues d’Athènes une lanterne à la main en plein jour, cherchant l’homme, en fait l’Idée platonicienne d’homme.).
                 En effet, sur quoi d’autre pourrait-on fonder l’exigence de solidarité dans le contexte du monde concerné par la mondialisation, si ce n’est sur un certain humanisme ? Il faudrait pouvoir réaliser la cosmopolis kantienne pour espérer mettre en oeuvre une proximité citoyenne permettant une plus grande expressivité à la solidarité ainsi recherchée. Mais qui pourrait garantir que cette cosmopolis ne maintiendrait pas en place ses bas-quartiers, ses banlieues, ses quartiers chics, ses quartiers d’affaires, etc., des clivages religieux et linguistiques reconstituant des solidarités primaires, repoussoirs des uns pour les autres, réciproquement ? C’est parce que l’orientation vers la mise en œuvre de la solidarité humaine met d’emblée tout le monde  sur le même pied d’égalité qu’elle ne réussit pas à intéresser les processus de la mondialisation principalement commandés par la loi naturelle du rapport des forces et du fait des inégalités de toutes sortes.
                     L’autre forme de solidarité, à savoir la solidarité de type organique, selon toujours la distinction durkheimienne, se fonde sur les différences qui sont des particularisations de rôles et de fonctions des divers partenaires composant le groupe. C’est la solidarité de complémentarité qui a tendance à figer chacun dans son rôle, sa fonction, son statut. La solidarité internationale qui a fonctionné jusque là est précisément de type organique, entre les pays industrialisés de l’hémisphère Nord et les pays d’économie pré-industrielle de la plupart des pays pauvres de l’hémisphère Sud. Les pays industrialisés produisent tous les biens, tandis que les pays en voie de développement sont maintenus dans le statut de consommateurs. (Nous venons d’évoquer une prochaine chute des barrières douanières.) Dans la logique de cette solidarité de complémentarité et d’interdépendance inégalitaire et inéquitable, les pays en voie de développement auraient vocation à demeurer en permanence en voie de développement. Et c’est bien ce que traduisent les statistiques économiques tous les ans, lorsqu’elles font constater  que le fossé ne cesse de se creuser entre le Nord et le Sud, les riches et les pauvres.
                     De toute évidence, il apparaît donc que l’idée de solidarité suit elle-même les clivages des micro-mondes au sein du macro-monde. Parler d’un monde solidaire ne va pas sans inviter à l’atténuation des solidarités particulières qui entretiennent et maintiennent les micro-mondes. On aperçoit clairement par là, les écueils qui jalonnent le parcours de la mise en œuvre d’une réelle et authentique gouvernance globale.
         
          La gouvernance globale limitée aux seuls problèmes globaux ?
                    S’il faut envisager de rendre  structurelle la mise en œuvre du principe cardinal de  solidarité, on ne saurait concevoir le fonctionnement de la gouvernance globale pour les seuls problèmes mondiaux du genre de celui du réchauffement climatique de la planète.Il est évident que  les problèmes globaux sont tels qu’ils nous font franchir immédiatement les frontières étroites des nations et nous installent dans la cosmopolis totale dans le cadre de laquelle il convient d’envisager leur traitement. Le fait qui apparaît à l’observation immédiate est que la plupart de ces problèmes globaux relèvent du fonctionnement des lois du monde physique, le monde que nous annexons à notre monde humano-socio-culturel. Problèmes de l’environnement, de la réduction de la couche d’ozone, le relèvement du niveau des eaux des océans, la protection des espèces animales et végétales en voie de disparition, etc.Or le fait est que le monde humano-socio-culturel de l’homme crée beaucoup plus de problèmes méritant eux aussi d’être pris en compte par une gouvernance globale non abandonnée aux seules lois, fussent-elles  lois de la nature sous l’espèce du rapport des forces, ou des lois imitant celles du marché. Il nous semble pourtant qu’un problème tel que celui que pose l’omni fonctionnement de la loi du plus fort dans l’ensemble des échanges entre les nations devrait constituer l’un des grands sujets de préoccupation pour une authentique gouvernance globale. De même pensons-nous qu’un problème tel celui de la réduction ou plutôt du creusement continuel du fossé de développement qui sépare les pays de l’hémisphère Nord et ceux de l’Hémisphère Sud mériterait aussi d’être prise en compte au titre d’un problème global devant intéresser la gouvernance globale. La poussée migratoire des pays du Sud vers les pays riches de l’hémisphère Nord, bref les drames de l’émi-immigration sont des phénomènes visibles à l’échelle mondiale et pour lesquelles des réponses ou des solutions isolées nationalement seraient insignifiantes pour répondre aux défis qu’ils engendrent. Ce sont des problèmes globaux qui devraient être traités comme tels. Or, manifestement, la gestion de cette situation semble définitivement léguée à la très commode loi du rapport des forces et à un certain multilatéralisme. Or, au sein du multilatéralisme s’expriment les intérêts nationaux souvent contradictoires tandis qu’il est facile à tous les partenaires d’identifier les mêmes intérêts communs face aux problèmes ou aux phénomènes mondiaux. C’est dire que la gouvernance globale passerait à côté de sa mission si elle se contentait de gérer le plus facile, le facilement entendu, en laissant de côté le plus difficile, l’aspect par lequel la globalisation ne se limiterait pas à être la caractéristique de la  nature de l’intérêt, à savoir, particulier ou général, mais se ferait  plutôt identifier comme étant la collégialité de la participation à la recherche des solutions aux problèmes globaux. Nous ne pensons pas que par l’expression de gouvernance globale il faille penser à un gouvernement mondial d’une cosmopolis rêvée. L’idée de participation de tous à la table des négociations renvoie de nouveau au multilatéralisme et aux organisations internationales ; mais précisément, il doit s’agir de reconcevoir un multilatéralisme nouveau au sein duquel serait réduit l’impact du rapport de forces au profit de l’affirmation du devoir de solidarité Le multilatéralisme a pu laisser l’impression d’une telle participation de tous à la recherche des solutions au sein des organisations internationales, voire de l’ONU elle-même. Tout le monde sait, et nous l’avons déjà rappelé, que les organisations internationales reproduisent le rapport des forces existant entre les nations ou entre les groupes de nations. Il faut donc que le concept de gouvernance globale donne à voir autre chose que ce que le multilatéralisme a pu montrer jusque là.

                      Dans un monde où le commerce constitue le plus gros des échanges entre les nations et à l’intérieur des nations, on ne parlerait pas de gouvernance globale si la seule autorégulation du marché était suffisante pour cela. Or tel n’est pas le cas. Une nécessité  d’intervention politique s’impose, et qui soit inspirée par une vision de la mondialisation comme globalité de sens et comme volonté de vivre un monde véritablement  solidaire, et qui rompe avec la structure statique de l’ordre en vigueur, au profit d’une structure dynamique faite de réorganisation rationnelle, raisonnable et équitable de l’espace mondial de la production. La gouvernance globale, institution d’un dialogue structuré et permanent entre les partenaires du développement et de l’amélioration des conditions de vie de l’être humain sous toutes les latitudes, serait celle qui contribuerait à réduire les dissymétries, les fossés et autres inégalités entre les nations, au lieu de les entretenir voire même de les accentuer. Un changement véritablement significatif ne se produirait dans ce vaste marché qui constitue la trame des échanges mondiaux que du jour où l’esprit de la négociation serait débarrassé du spectre du rapport de forces .Une négociation devant s’inscrire dans le nouveau cadre d’un multilatéralisme nourri à la compréhension de la bonne gouvernance comme étant la gouvernance globale, dans les préoccupations de laquelle la question du développement durable de toutes les parties du globe occuperait la place centrale. Les représentants des pays les plus riches et les représentants des pays pauvres devraient se donner l’opportunité de négocier, non pas la délocalisation des entreprises et des usines, mais l’implantation de nouvelles usines de production à proximité de la matière première. Autrement dit, pourquoi continuer à exporter tout le bois des  régions africaines sous forme de grumes en vue de leur transformation au loin ? Pourquoi exporter tout le coton et décourager l’implantation des industries textiles à proximité des champs de coton ? Pourquoi exporter tout le cacao des pays producteurs africains, alors que le chocolat pourrait et peut toujours se fabriquer sur place chez le producteur ? Toutes ces interrogations sont de nature à faire que s’instaurent de véritables négociations « gagnant - gagnant » pour reprendre une formule fort bien pensée et usitée ces derniers temps.

Conclusion
                 L’idée de monde est donc l’idée d’une construction voulue et assumée par l’homme. Le constructeur se présente naturellement dans la  position de celui qui se met en devoir d’unifier une pluralité d’autres expériences comparables. Nous avons vu comment la responsabilité de cette construction par ceux qui détiennent la plus grande puissance d’action pour ce faire n’est assumée qu’en partie, oublieuse de cette autre implication de l’idée de monde qu’est la solidarité ; non pas une solidarité offerte, c’est-à-dire faite de cadeaux, mais une solidarité structurelle. L’idée agissante de solidarité dans le cadre de la gouvernance globale, devrait entraîner non seulement celle de réciprocité et celle de mutualité, mais encore celle de partage juste et équitable. Si elle suppose, comme celle d’interdépendance, que tous les éléments du tout, de l’ensemble, du monde, se conditionnent et ont besoin l’un de l’autre pour faire exister le monde, l’idée de solidarité introduit cette dimension nouvelle constituée par la responsabilité et la liberté humaine invitée à injecter autre chose que le calcul et  la froide raison mécanicienne dans sa manière d’envisager le destin commun de l’humanité, à savoir le bien-être et la dignité de l’homme où qu’il se trouve. La préférence des maîtres de la construction mondialiste va à l’idée de totalité et de totalisation susceptible de  conduire à un totalitarisme de triste souvenir. Mais s’il est légitime de se rebeller contre tout totalitarisme au nom de la liberté, il apparaît à l’évidence aujourd’hui, qu’au nom de cette même idée de liberté et de libéralisme, on fait plutôt la part belle au laissez-passer et au laisser-faire, au nom de la mondialisation. Il importe de donner au concept de gouvernance globale le véritable contenu qui devrait être le sien, celui du placement au centre des préoccupations du partenariat pays développés – pays pauvres, la question du développement durable et équilibré de toutes les régions du monde  et pas seulement les seules questions environnementales, et sur le mode du catastrophisme.
               C’est à cette condition que l’idéalité transcendantale du monde pourra devenir l’effectivité concrète d’une volonté de construction d’un monde véritablement humain. /

 

                                                      Pr. E. NJOH-MOUELLE
                                                        www.njohmouelle.org

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