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Colloque Politique

Colloque Politique

L’unesco et sa fonction de conscience morale Des nations unies (Quelques réflexions d’un ancien membre du conseil exécutif)


         Excellences,
                Mesdames et Messieurs

        Désigné par le Chef de l’Etat pour être le candidat du Cameroun au Conseil Exécutif en novembre 1995, j’ai accompli un double mandat de deux fois deux ans de 1995 à 1999. Au cours de la même période, le Cameroun était membre de plusieurs autres commissions et comités spécialisés de l’Unesco. Qu’il me soit permis de saisir cette occasion pour saluer la mémoire de notre défunt compatriote Claude Ondobo qui fut le très compétent et très respecté directeur du PIDC (le Programme International pour le Développement de la Communication) au moment où j’entrais au Conseil Exécutif. Notre pays était et demeure par ailleurs  membre du Bureau International de l’Education, (BIE), du comité intergouvernemental de bioéthique, du programme de Gestion des transformations sociales (le MOST), de la Commission océanographique intergouvernementale entre autres.
        Mais c’est toujours un moment important pour un Etat-membre quand il siège au Conseil Exécutif. Car, si l’Unesco compte 192 Etats membres, 58 d’entre eux seulement siègent chaque fois au Conseil Exécutif  qui se renouvelle de moitié tous les deux ans; un Conseil Exécutif qui joue à peu près le rôle d’un conseil d’administration auprès du Secrétariat dirigé par le Directeur général, tandis que les grandes décisions  sont prises au niveau de la Conférence générale.
        Si j’ai choisi de faire mon témoignage sur la fonction de conscience morale des Nations Unies reconnue à l’Unesco, c’est pour avoir eu la chance de participer aux débats ayant conduit à l’adoption de trois déclarations parmi les plus importantes que l’Unesco ait eu à faire adopter par sa Conférence Générale. Je les évoquerai dans un instant. Mais auparavant, j’ai à dire ceci :

        Le tout premier Directeur Général de l’Organisation, Julian Huxley, pensait que l’Unesco devait élaborer une doctrine éthique commune aux nations membres.Le philosophe français Jacques Maritain s’élevait quant à lui contre ceux qui cherchaient à imposer à l’Unesco un « dénominateur commun doctrinal ».Au moment où j’accède au Conseil Exécutif, le débat était en train de reprendre sur cette question à travers le projet d’élaboration d’une « éthique universelle », conçue par le chef du département de philosophie de l’époque, le Coréen Yersu Kim. La position du Cameroun sur cette question, à travers ma voix, rejoignait celle de ceux qui pensaient qu’il n’était pas souhaitable, ni même facile de doter l’Unesco d’un dénominateur commun doctrinal. Ce qui ne voulait pas dire que l’Unesco devait renoncer à sa vocation d’être la conscience morale des Nations Unies, bien au contraire.
        Et l’Organisation ne s’est pas privé de faire écrire, de faire réfléchir, d’élaborer et de faire adopter des « Déclarations » portant sur des questions touchant à la condition et au destin des hommes sur la planète. Cet aspect des missions de l’Unesco ne pouvait pas manquer de m’intéresser, voire de me passionner.
 Pour l’exécution des projets liés aux grands programmes, à savoir l’éducation, la science, la culture, la communication, j’avais estimé, lors du débat du mardi 8 juin 1999 consacré à la question d’envisager ce que devait être l’Unesco du 21è siècle, que l’Organisation ne devait pas se comporter en une agence de développement ayant à s’engager elle-même dans l’exécution des activités opérationnelles pouvant être laissées à d’autres opérateurs. Car en effet, c’est ce que faisait déjà l’Unesco quand elle a eu à confier le soin d’organiser la réflexion autour des questions précises à des personnalités choisies en fonction de leur notoriété, de leur compétence et de leur expérience, pour l’accomplissement de sa vocation éthique. C’est ainsi que j’ai vu publier, tout à fait au début et au cours de mon mandat, les ouvrages coordonnés par Roger-Pol Droit sur « Philosophie et démocratie dans le monde », 1995, Javiez Pérez De Cuellar sur « Notre diversité créatrice (Rapport de la commission mondiale de la culture et de développement), 1995. Si je remonte un peu plus loin dans le temps, je citerai, dans le même registre, l’ouvrage collectif dirigé et coordonné par Edgar Faure et intitulé «  Apprendre à être » et paru en 1978 en co-édition Unesco-Fayard (Rapport de la Commission Internationale sur le développement de l’éducation). Toujours dans le domaine de l’éducation, l’Unesco a remis au travail une autre commission, la Commission Internationale sur l’Education pour le Vingt et unième siècle, présidée par Jacques Delors. Le rapport de cette commission a fait l’objet d’une co-édition Unesco- Editions Odile Jacob dont l’ouvrage est sorti de presse en 1996.
        Il me paraît significatif et important de signaler que chacune de ces publications affiche dans une de ses pages de garde une sorte d’avertissement qui dit clairement que les vues exprimées sont celles des auteurs et de la commission mise sur pied et non nécessairement des vues de l’Unesco en tant qu’organisation. Dans l’ouvrage signé de Roger-Pol Droit on peut lire ce qui suit à cet égard : «  Les auteurs sont responsables du choix et de la présentation des faits figurant dans cet ouvrage ainsi que des opinions qui y sont exprimées, lesquelles ne sont pas nécessairement celles de l’Unesco et n’engagent pas l’organisation ». Le rapport de Javier Pérez De Cuellar, « Notre diversité créatrice » prévenait à son tour : « La Commission mondiale de la culture et du développement est indépendante et seule responsable du choix et de la présentation des faits contenus dans ce Rapport ainsi que des expressions qui y sont exprimées. Ces dernières ne sont pas nécessairement celles de l’Unesco ou de l’Organisation des Nations Unies et n’engagent ni l’une, ni l’autre de ces organisations »
        « L’Education, un trésor est caché dedans » de Jacques Delors n’a pas dérogé à la règle. Ses lecteurs sont identiquement prévenus que «  Les membres de la Commission sont responsables du choix et de la présentation des faits contenus dans ce rapport, ainsi que des opinions qui y sont exprimées ; celles-ci ne sont pas nécessairement celles de l’Unesco et n’engagent pas l’organisation ».
        Si j’ai tenu à insister sur cette mention, c’est parce qu’elle pourrait sembler venir en atténuation de la mission normative de l’Unesco. En effet, il devrait se poser la question de l’évaluation de l’impact des publications des résultats des réflexions que l’Unesco confie à des commissions spéciales. Faut-il continuer de faire éditer les rapports des commissions s’il n’est pas prouvé qu’ils inspirent l’action des gouvernements des Etats membres ? Il serait hasardeux de répondre à cette question sans avoir disposé au préalable d’un moindre rapport sur l’évaluation de l’efficience de ce mode d’action.
        En fait, les travaux des commissions ne prennent la forme normative que lorsqu’ils se transforment en « Déclarations universelles » ou en conventions. En effet, certains rapports des commissions mondiales constituées par l’Unesco donnent lieu, par la suite, à la rédaction des « Déclarations universelles » que le Directeur Général soumet à l’adoption par la Conférence Générale, après leur examen concluant par le Conseil Exécutif.
        A ce sujet, je me suis personnellement réjoui d’avoir vécu, tant au niveau du Conseil Exécutif qu’à celui de la Conférence Générale, les débats ayant conduit à l’adoption de la « Déclaration sur la sauvegarde des générations futures » (Septembre 1997), l’adoption de la « Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme » (Nov. 1997), la « Déclaration sur la science et l’utilisation du savoir scientifique » (Juillet 1999). Je ne saurais m’empêcher de citer, entre autres nombreuses déclarations antérieures, la « Déclaration sur la race et les préjugés raciaux » adoptée le 27 novembre 1978 par la vingtième session de la Conférence Générale.

        La question que je posais quelques lignes plus haut demeure : Que donne, ou alors que pourrait donner une enquête d’évaluation de l’impact des déclarations universelles adoptées par la Conférence générale de l’Unesco depuis sa création ?
La même interrogation vaut également pour la « Commission mondiale d’éthique des connaissances scientifiques et des technologies (COMEST), créée en 1998, pendant mon mandat au Conseil exécutif. Il faut rappeler que la mise au point, pendant les années 1970 de la technique de génie génétique qui ouvrait les perspectives de transformation du vivant en modifiant son patrimoine génétique avait provoqué une grande inquiétude, y compris chez les savants eux-mêmes.Le courant de pensée dénommé bioéthique est né de cette inquiétude et s’est défini comme une réflexion sur les principes devant guider les actions humaines face au défi lancé à l’humanité par les progrès de la génétique.
        En fait, le rôle de la « Commission Mondiale d’éthique des connaissances scientifiques et des technologies » (COMEST) n’est pas différent de celui du « Comité International de Bioéthique »(CIB), également créé par l’Unesco. Organe consultatif et forum de réflexion composé de 18 membres qui sont des experts indépendants nommés par le Directeur Général de l’Unesco, la COMEST a pour rôle d’ «  énoncer des principes éthiques susceptibles d’éclairer les débats des responsables politiques, à la lumière des critères qui ne soient pas exclusivement économiques ».
        Des réserves et des observations critiques n’ont pas manqué d’être émises lors du débat au Conseil exécutif portant sur le projet de création de la COMEST. Il apparaissait à plus d’un que la COMEST allait faire double emploi avec le CIB. C’est au courant de la même année, 1998, qu’en même temps qu’on crée la COMEST, on donne son Règlement Intérieur et ses statuts au « Comité International de Bioéthique » créé pourtant depuis 1993.
        Mon intention ici n’est pas d’entrer dans les détails du fonctionnement de la Commission Mondiale d’ éthique des connaissances scientifiques et des technologies et du Comité International de bioéthique. Je me limite à souligner, comme on le fait souvent, qu’en matière éthique, la loi commande mais n’oblige pas. Les mises en garde susceptibles d’être formulées dans les rapports des commissions, les « Déclarations universelles », les principes émis,  sont simplement proposés à toutes fins utiles aux gouvernements des Etats membres et à l’opinion publique mondiale.
        Lorsque la Commission mondiale d’éthique des connaissances scientifiques et des technologies se réunit, elle débat sur des rapports produits par des experts qu’elle charge de réfléchir sur des questions précises. Le fait est que depuis le début, la COMEST ne s’est investie pleinement que dans les questions liées aux problèmes de l’environnement, sous l’intitulé de « Questions éthiques liées aux ressources d’eau douce, à l’énergie, à l’espace extra-atmosphérique. Sortant de son rôle, elle a même proposé un « Programme d’action sur l’éthique de l’environnement », un document qui, sans surprise, n’a pas été adopté officiellement. La Comest a aussi produit un rapport sur « l’Ethique liée au changement climatique » Or, tous les spécialistes ne sont pas du même avis en ce qui concerne l’incidence de l’action de l’homme sur les changements climatiques, et en particulier sur le réchauffement de la planète. Si ce désaccord réapparaît au sein de la Commission composée de 18 membres, quelle recommandation pourrait en sortir ? Etant donné qu’en matière de recherche de la vérité, en matière scientifique, il ne saurait être question d’appliquer la règle démocratique selon laquelle le point de vue majoritaire l’emporte ! De même, si ce désaccord ne réapparaît pas et que les 18 membres de la COMEST s’engagent dans la voie de la responsabilisation de l’homme ou alors dans celle de son innocentement, il pourrait s’ensuivre une décrédibilisation de la Commission !
        Viendra-t-on incriminer la philosophie habituée aux débats toujours ouverts ? Pourquoi faire intervenir la philosophie ici ? Mais parce que c’est sur son socle que cherche à s’édifier la mission éthique et de conscience morale des Nations Unies.Dans le n° 3 de La Lettre d’Information de la Division de la Philosophie, le Directeur Yersu Kim écrivait en 1996 que «  c’est à l’Unesco, en tant qu’organisation intellectuelle du système des Nations Unies, qu’il incombe de montrer la voie et d’élaborer une vision hardie d’un avenir viable pour l’humanité en mobilisant les forces créatrices et productives pour faire face aux défis qui nous attendent ». Si on considère les formes d’expression que la philosophie s’est données à l’Unesco, on ne peut manquer de remarquer leur diversité, traduisant chaque fois une sorte d’hésitation et d’embarras devant l’aspiration à l’universalité doctrinale d’une part, et la nature nécessairement dialectique et plurielle de l’expression philosophique.
        L’activité philosophique à l’Unesco a commencé par s’inscrire dans la voie de la création des chaires Unesco de philosophie en mettant ainsi l’accent sur les relations avec les institutions d’enseignement et de recherche que sont les universités. Dans sa conception, la chaire Unesco de philosophie s’est voulue un « pôle d’excellence de la philosophie vivante, appuyée sur une tradition dont la modernité n’est pas la répétition du même, mais l’invention du nouveau. C’est ensuite un lieu privilégié de circulation d’enseignants, de chercheurs et d’étudiants de haut niveau, pour le partage des savoirs. C’est enfin une scène de libre expression du dissensus – à l’image de la démocratie- qui accepte le pluralisme des références et des écoles, cherche le dialogue au-delà de toutes les frontières, et requiert, au nom du droit à la philosophie la communauté des égaux dans le travail de la réflexion philosophique » (Lettre d’Information d’avril 1996).
Après les chaires Unesco, la philosophie a évolué sous la forme des programmes spécifiques, tel le programme « Philosophie et démocratie dans le monde » et s’est poursuivie par une expérience qui n’a pas duré longtemps, celle des Rencontres philosophiques de l’Unesco, introduites par Madame Ayyam Sureau. Les premières se sont tenues au siège à Paris, du 14 au 17 mars 1995 et ont porté sur la question de l’ignorance : « Qu’est-ce qu’on ne sait pas ? ». Du 27 au 30 mars 1996 ont eu lieu les Deuxièmes Rencontres ayant porté sur le thème : Qui sommes-nous ? Ces rencontres mettaient en présence des savants, des artistes et bien sûr des philosophes. Elles s’étaient fixé comme but de « donner place à la multitude des opinions, leurs digressions, leurs contradictions, leur désordre même » ! Et depuis 2002 l’Organisation a choisi d’instituer une journée Mondiale de la philosophie » afin d’honorer dans le monde entier la réflexion philosophique en lui ouvrant des espaces libres et accessibles »

        Comme on peut s’en rendre compte, les philosophes de la « Division de la philosophie » en 1996 se flattaient bien de mettre en relief, avec raison,  la libre expression du dissensus, les contradictions et la multitude des opinions comme constituant l’essence même de la philosophie. Mais il est question de la mission éthique de l’Unesco. Il est question de dire qu’en matière d’éthique, il devrait y avoir des limites aux « dissensus » et aux contradictions. Le grand enjeu ici est le destin de l’humanité à travers des hommes concrets. C’est pourquoi, encore une fois, il faut saluer le fait pour l’Unesco d’avoir déjà eu à donner au monde des textes forts pertinents qui sont l’expression de cette conscience morale des nations Unies, je pense notamment à toutes les déclarations à portée universelle que l’Unesco a eu à produire, dans l’espoir de toujours contribuer l’amélioration des conditions du vivre ensemble sur notre « Terre des hommes », de Saint Exupéry...
                                       Je vous remercie de votre bien aimable attention.

                                                    E. NJOH MOUELLE
                                       Membre du Conseil Exécutif : 1995-1999
                                                    Vice-Président en 1999

 

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