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Préface:Recueils de poésie

LA MORT EN SILENCE de EPALE NDIKA

Editions Saint-Germain Des Prés, Paris 1980

Pourquoi poétiser sur la faim et la misère ? Pourquoi écrire de beaux vers sur une réalité en elle-même hideuse et poignante ? Bien des lecteurs de ce recueil d’Epale Ndika se poseront peut-être cette question en songeant à des formes d’intervention jugées plus positives par l’opinion : devant le spectacle de tant de « squelettes ambulants », de tant de « lèvres déshydratées », de tant d’inégalités criardes, ce n’est pas à la littérature qu’il faut faire appel mais à l’action, à des mesures concrètes devant faire aboutir à la suppression des distorsions constatées. Or la poésie c’est la littérature…
Cette opinion est partagée par la grande masse de ceux auxquels pense le poète ; elle est d’autant plus enracinée dans les esprits qu’il vient s’y ajouter le fait que tous ces beaux vers, toute cette belle littérature ne peuvent être lus que par l’infime minorité des personnes instruites, de ceux qui sont allés à l’école pendant longtemps et qui, tout compte fait, appartiennent plus ou moins à la catégorie des privilégiés. Il se pose à ce niveau un double problème, en réalité : celui en général de l’instruction et celui de la langue, véhicule de cette instruction. Epalè Ndika, comme bien d’autres avant lui, écrit en français. Double épaisseur du mur qui le sépare de son peuple !
Qui donc fera découvrir au peuple concerné le vigoureux message du poète porte- parole des « misères qui n’ont point de bouche » ? Mais aussi, comment entreprendre de raconter sa misère à celui-là même qui vit dans la misère ?

La poésie c’est d’abord la sensibilité ; une grande sensibilité devant le spectacle de la nature et de la vie. Savoir regarder, écouter, sentir, voilà le point de départ de la sensibilité poétique. André Gide conseillait à son élève Nathanaël : « Que l’important soit dans ton regard et non dans la chose regardée ». C’est un conseil qu’un vrai poète se doit de retourner complètement, lui pour qui l’important doit être dans la chose regardée et non dans son propre regard. Cette fixation momentanée sur la chose regardée doit aller jusqu’à provoquer un mouvement de coïncidence sympathique grâce à laquelle le poète voit son être se dilater aux dimensions de tout ce que son regard embrasse, de tout ce que son ouïe fait fondre. Ce qui frappe d’entrée de jeu dans le recueil que vous allez lire, c’est cette sensibilité vivement émue d’un jeune homme dont on devine aisément la voix tremblotante devant certaines scènes déchirantes, qui déploie d’énormes efforts pour contenir ses larmes à d’autres endroits mais qui, ailleurs, finit par céder au mouvement de révolte passionnée. Il y a aussi des poètes qui se contentent d’évoquer leurs émotions et leurs passions, devenant eux-mêmes « la chose regardée », le centre d’intérêts de leurs poèmes. Ce n’est pas le cas de la poésie d’Epale Ndika, à qui personne ne songera à reprocher d’avoir perçu le sous-développement à travers les « ventres ballonnés », les «  artères déshydratées », les « boyaux rétrécis par la faim ». D’une manière générale, ce n’est pas le cas de la jeune poésie d’Afrique francophone tout au moins, elle qui est violemment sollicitée par les difficultés d’un monde qui ne laisse le loisir à qui que ce soit de ne s’occuper que de ses problèmes personnels La jeune poésie africaine est une poésie militante étendant ses préoccupations aux dimensions de l’Afrique toute entière, consciente du fait que notre liberté dépend de la libération de tous nos semblables et que devant les graves problèmes auxquels notre continent est confronté, le silence lui-même devient un crime de haute trahison.

C’est pourquoi nous n’avons pas affaire ici à une poésie de simple constat, descriptive des misères quotidiennes et pour le reste, se contentant de pleurnicher. Il s’agit d’une poésie qui vise à réveiller nos consciences endormies ou qui auraient tendance à s’endormir sous l’effet quasi magique de la monotonie : monotonie de la lâcheté, monotonie des slogans des vendeurs d’illusions et de mensonges.

    Il s’agit par conséquent d’une poésie qui ne vous raconte peut-être pas des histoires rassurantes que l’on désire entendre tous les jours,et, de ce fait, devenant insensible aux difficultés des autres. Le poète ici nous invite à aller regarder peut-être malgré nous, cette « charogne » baudelairienne de notre monde qui sent mauvais, qui se décompose et qui ne fait vomir que les cœurs dont la délicatesse elle-même est une injure faite à ceux qui ne savent plus vomir, ceux pour qui vomir apparaît comme une manière de coquetterie !
Après le dégoût, ou plutôt avec le dégoût, la révolte. Oui, c’est là le but du poète Epale Ndika. Vous amener à vous révolter contre vous-même, contre votre compromission dans l’appauvrissement des autres, contre votre silence coupable, contre la misère qui menace en permanence votre sécurité toute précaire. Est-ce à dire que les véritables destinataires de ce recueil soient les riches et les parvenus qui s’accaparent la totalité des biens de leur société. Non certes ! Il y a aussi, il y a surtout les pauvres, ceux dont il se fait le porte-parole, mais ceux également qui ne liront peut-être jamais ses vers parce qu’ils n’ont pas appris à lire ! Oui, c’est vrai, ils n’ont pas besoin qu’on leur raconte les longues nuits d’insomnie. Ils n’ont pas besoin qu’on leur inocule l’amertume et le ressentiment des gens dépossédés de tout, même de l’espérance, c’est leur lot quotidien.

Alors, pourquoi poétiser sur la faim et la misère des autres ? Eh bien, comme je l’ai déjà dit, parce qu’à partir du moment où le poète, grâce à sa grande sensibilité, a sympathisé avec la condition sur laquelle il entend lever le voile, il parle et écrit en principal intéressé ; il en sera de même de ceux qui, le lisant, mettront à l’œuvre la même sensibilité grâce à laquelle ils saisiront comme de l’intérieur la tragédie de la situation. C’est alors qu’il faut redire ces vers de Césaire : « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir ».

Mais, Epale Ndika, dans ce travail, associe à la misère l’amour ! Car c’est un fait digne d’être noté que l’homme demeure capable d’amour au plus profond de sa détresse matérielle. C’est une simple suggestion que glisse le poète ; une suggestion qui ressemble à un prétexte de consolation pour toutes les misères endurées par ailleurs. Aime et fais-toi aimer, semble dire le poète, si tu veux alléger le poids de ta misère matérielle. Il va sans dire qu’il ne saurait s’agir ici de l’amour vulgaire des temps d’aujourd’hui ; car cet amour là coûte de l’argent ; cet amour là veut qu’on soit riche pour acheter toutes les caresses et autres largesses. Non ! J’imagine que, pour le poète, il s’agit de cet amour sans prix et capable de nous hisser au-dessus de nous-mêmes et de décupler notre force de vivre.

E. Njoh-Mouellé


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