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Préfaces:Ouvrages

L'intégration Politique au Cameroun De Jean Pierre FOGUI

         Le livre de M. Jean Pierre Fogui examine une question qui continuera de préoccuper les Camerounais pendant de nombreuses années encore : l’intégration politique au Cameroun. Le mérite revient à l’auteur d’avoir, le premier, abordé ce problème d’une manière systématique. L’intégration politique dont il est question comporte deux aspects : la modernisation de l’organisation politique et la recherche d’une certaine efficacité aussi bien par les autorités coloniales que par le pouvoir moderne camerounais. Si l’on ne considère que la période coloniale, c’est la recherche de l’efficacité qui prédomine et l’analyse organisée autour du couple conceptuel centre-périphérie trouve toute la force de sa logique ainsi que son indéniable pertinence. Après avoir, dans un premier moment, tenté de combattre les autorités traditionnelles pour imposer directement un pouvoir venu d’ailleurs, un pouvoir central devant servir de façon sûre les intérêts de la métropole, les autorités coloniales ont découvert la nécessité de s’allier plutôt tous ces chefs traditionnels qui apparaissent alors comme des relais indispensables, des courroies de transmission tout à fait efficaces entre elles-mêmes et les populations ; et, comme il fallait s’y attendre, là où les courroies de transmission n’étaient pas tout à fait dociles, le pouvoir colonial n’hésita pas à procéder à des substitutions. Mais on ne peut pas dire que la recherche de l’efficacité n’ait intéressé que les seules autorités coloniales ; les dirigeants camerounais eux-mêmes ne procédèrent pas autrement lorsqu’il fallait contourner le refus d’allégeance de tel ou tel chef traditionnel. On fit procéder à d’identiques substitutions profitant à des personnages plus accommodants, même si leur audience et leur emprise réelle sur les populations étaient moins assurées.
         Vue sous cet angle, l’intégration politique ne laisse pas l’impression d’avoir été l’objectif recherché en lui-même ; elle serait plutôt un résultat auquel on parvenait un peu par accident. Quand le pouvoir est exercé dans le dessein d’exploiter certaine situation, il peut arriver qu’il aboutisse à des résultats apparaissant comme de simples bénéfices secondaires. Nous voulons dire que l’appareil administratif colonial était au service de tout à fait autre chose que l’intégration politique. Il fallait bien que le pouvoir central neutralisât le pouvoir périphérique en se l’assimilant pour garantir un climat de sécurité favorisant la continuité de l’exploitation économique.
         De même, les dirigeants camerounais des premières années de l’Indépendance n’ont-ils pas réellement voulu pour elle-même l’intégration politique, mais se sont trouvés dans l’obligation de se reposer sur les autorités traditionnelles, seules capables de contenir leurs populations dans un contexte de troubles sanglants prenant l’allure de quasi-guerre civile dans certaines régions du pays. En maintenant d’ailleurs ces autorités traditionnelles dans les rôles d’intermédiaires et de médiateurs, on ne peut pas dire qu’on ait favorisé, à proprement parler, l’intégration politique puisque la première des cinq conditions de l’intégration énoncées par Myron Weiner et citées par Jean Pierre Fogui en page 21 de son introduction exige « l’émergence d’une autorité centrale qui se place au-dessus des unités périphériques ». Tant que les « unités périphériques » continuent d’avoir conscience de leur spécificité traditionaliste, tant que les autorités traditionnelles sont maintenues dans les fonctions qu’elles ont toujours exercées, l’intégration politique est davantage feinte que réelle.
         Peut-on affirmer que par la suite, les dirigeants camerounais aient réellement recherché une intégration politique sous la forme de la modernisation de l’organisation politique du pays ? On ne devrait pas en douter bien que la démarche soit demeurée fort prudente et lente. Aujourd’hui encore subsistent, à côté du pouvoir central, disons même moderne, un pouvoir traditionnel à travers toutes ces grandes chefferies du Nord-Ouest et de l’Ouest, tous ces Lamidats du Grand Nord qu’on a eu la sagesse, ici, de ne pas chercher à supprimer par l’effet d’un décret.
         Mais à côté de l’intégration politique, le livre de M. Jean Pierre Fogui traite également de l’intégration nationale. Les premières années de l’indépendance du Cameroun ont été consacrées à la recherche de l’intégrité territoriale ; ce que le Président Ahidjo a toujours appelé l’unité nationale. Sous ce vocable, il s’est essentiellement agi pour lui de l’unité territoriale et géographique. La réunification du Cameroun en février 1961 consacre cette unité. Sur le chemin de l’Etat-Nation, il restait encore beaucoup à faire ; la seconde étape est venue en Mai 1972 lorsque, sur ce territoire retrouvé, on a imposé une autorité politique centrale à la place de la fédération préexistante.
         Mais la véritable intégration nationale restait et reste toujours à faire (comme Jean Pierre Fogui le montre d’ailleurs dans sa conclusion) ; elle suppose le passage de la conscience tribale et ethnique à la conscience nationale. A cet égard, la pratique quasi systématique de la politique d’équilibre régional dans les nominations par exemple, aura longtemps contribué à retarder la naissance de cette conscience nationale. La multiplicité des associations à base ethnique au sein desquelles il n’est souvent question que de la défense des intérêts de la communauté restreinte est un phénomène qui, de tout temps, a contribué à retarder voire même à annihiler toute tentative d’émergence d’une conscience nationale.
         Beaucoup d’espoir a toujours été placé dans le Parti unique auquel incombait la mission de catalyseur de la conscience nationale. On ne peut pas dire que le Parti ait réussi à jouer convenablement ce rôle, tant il est vrai qu’il a toujours pris à son compte toutes les contradictions et toutes les diversités observables au niveau du pays tout entier. Comment doit-on apprécier ce fait aujourd’hui ? Nous pensons que les dirigeants camerounais ont fait preuve de sagesse dans le traitement de la diversité ethnique de leur pays. Si, jouant prématurément la carte d’une intégration nationale peu soucieuse de l’équilibre ethnique, ils n’avaient prêté leur attention qu’à ceux que le hasard de l’Histoire avait favorisés en matière d’instruction et de compétences techniques diverses, le pays n’aurait-il pas été le théâtre de massacres à la burundaise ? La politique de l’équilibre régional a donc été, à notre avis, une sage politique même si, d’un autre côté, elle a comporté et comporte toujours le lourd handicap de retarder l’avènement d’une conscience nationale chez tous les Camerounais.
         Le livre de Jean Pierre Fogui est le bienvenu en ce moment ; il porte sur la place publique un débat qui est resté longtemps plus ou moins tabou. Non seulement il fournit une information de qualité et de quantité tout à fait remarquables mais encore, et c’est avec plaisir que nous le soulignons, il va être une référence incontournable pour tous ceux qui, politologues ou non, s’intéressent à l’évolution politique du Cameroun. La neutralité du ton demeuré loin de toute polémique lui confère la crédibilité qu’on se plaît à reconnaître à toute œuvre marquée du sceau de la science et de l’honnêteté intellectuelle./

 

                                                        E. NJOH-MOUELLE
                                                        Yaoundé, Juin 1990

 

 

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