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Préfaces:Ouvrages

LA LIMITATION DU POUVOIR POLITIQUE, UNE RELECTURE AFRICAINE DE JOHN LOCKE

Par M. KOMBATE DAMTOTI

Certains lecteurs s’étonneront peut-être que M. KOMBATE DAMTOTE  ait eu besoin de remonter jusqu’à John Locke au 17è siècle européen, à la recherche d’une clef de lecture et de compréhension du penchant pour le pouvoir absolu et de type monarchique en Afrique  C’est bien de cela qu’il s’agit en effet, dans cette étude dont le quatrième et dernier chapitre s’attache à examiner en fait, la place réservée au principe du respect de la limitation du pouvoir politique dans la pratique africaine, telle que vécue depuis les années 1960, c’est-à-dire depuis la libération politique de l’Afrique du joug colonial.
Par rapport à la période historique considérée, il est logique de voir notre auteur accorder davantage d’intérêt à la situation qui aura été à l’origine des élaborations théoriques relatives à la limitation du pouvoir politique, à savoir l’absolutisme des régimes monarchiques ayant prévalu à l’époque de John Locke. En effet, pourquoi avoir été conduit à préconiser la limitation du pouvoir politique ? Parce que John Locke et ses contemporains n’en pouvaient plus des excès du pouvoir monarchique exercé sans partage par le roi seul, avec des dérives en arbitraire qui en découlaient. Pourquoi John Locke (1632-1704) ? Parce que ses aînés, Thomas Hobbes (1588-1679) et Robert Filmer (1588-1653) par exemple, avaient produit une œuvre justifiant et apportant un appui au pouvoir absolu des monarques d’alors. Selon Hobbes l’État se doit d’être fort pour assurer la protection de ses sujets contre les agresseurs extérieurs et contre eux-mêmes. Selon lui, la monarchie est la meilleure forme de gouvernement. Pour Robert Filmer, de son côté, l’État est d’origine divine ; Adam serait le premier monarque dont les rois seraient les prolongements.
Le choix porté sur John Locke par M. Kombate Damtoti n’est que trop justifié, par rapport à cette antériorité ayant écarté le souci de limitation du pouvoir politique, tout comme il l’est également par rapport à ceux qui ont abondé dans son sens par la suite, tels que Montesquieu (1689- 1755) et Jean-Jacques Rousseau (1712-1778). En raison de son opposition au pouvoir monarchique, John Locke a connu un exil de cinq ans en Hollande où il tissera des liens amicaux avec Baruch Spinoza qui avait également maille à partir avec les autorités religieuses. L’Eglise condamnait son panthéisme considéré comme de l’athéisme.
Si le choix porté sur John Locke se justifie clairement, qu’est-ce qui aux yeux de M. Kombate Damtoti justifie qu’il choisisse de dénoncer l’absolutisme du pouvoir politique dans un contexte dominé par le discours démocratique et de la défense des droits de l’homme ? Le projet de M. Kombate Damtoti se donne une justification par l’identification en Afrique, des pratiques de pouvoir absolu  sous un emballage démocratique. Il faut y regarder d’un peu plus près.
D’après la logique lockienne de la limitation du pouvoir politique, que faut-il pour qu’il y ait limitation du pouvoir politique ? C’est tout d’abord la séparation des pouvoirs en Législatif, Exécutif et Fédératif. Montesquieu a repris cette distinction pour la transformer en pouvoir exécutif (le gouvernement), pouvoir judiciaire (les juges), et pouvoir législatif (le peuple). Locke, lui, avait plutôt pensé au pouvoir fédératif, c’est-à-dire aux relations interétatiques, oubliant le pouvoir judiciaire. Comment M. Kombate Damtoti interprète-t-il ce vide concernant la justice ? Il offre au lecteur de choisir entre les interprétations qu’en donnent deux auteurs, Simone Goyard-Fabre et Raymond Polin. Pour Simone Goyard-Fabre, «  le pouvoir judiciaire ne constitue rien de moins en la pensée de Locke, que le critérium de l’état politique » (p.43). Tandis que selon Raymond Polin, dit M. Kombate Damtoti, «  le pouvoir judiciaire est incorporé à l’Exécutif…le pouvoir de faire exécuter les lois implique le pouvoir de juger de l’obéissance aux lois » (pp.43-44). Ne serait-ce pas considérer que la théorie de John Locke donnerait raison à l’exécutif qui, de nos jours, non seulement en Afrique mais également dans les vieilles démocraties, maintient le judiciaire sous sa tutelle ? Ceux qui font de l’indépendance de la justice par rapport à l’exécutif une préoccupation obsessionnelle de leurs pensées se réfèrent peut-être aux États qui font élire leurs juges ? Quelle garantie pourrait-on avoir aujourd’hui en Afrique, d’écarter tout tribalisme ou encore tout effet pervers de l’électoralisme ? Si les candidats-juges doivent se livrer à l’exercice de campagne électorale et prétendre demeurer incorruptibles et anti-tribalistes, leurs discours et promesses, comme ailleurs, n’engageraient-ils pas seulement ceux qui y croiraient ?
Mais revenons à la considération de ce qui se trouve au centre de cette étude de M. Kombate Damtoti, à savoir les critères de limitation du pouvoir politique. Si le premier d’entre eux consiste en la séparation des pouvoirs, Locke a poursuivi la détermination des limites à l’intérieur de chacun des pouvoirs séparés. C’est ainsi que M. Kombate Damtoti rappelle qu’au niveau du législatif, les limites seraient les suivantes : 1- La loi ne doit pas fluctuer au gré des humeurs du prince, ni être modifiée pour régler des cas particuliers. 2- La loi doit être rendue publique par sa promulgation afin que nul ne l’ignore. 3- La propriété privée étant reconnue et devant être respectée, on ne la grève pas d’impôts sans consentement du peuple. 4- Le corps législatif ne peut aliéner sa compétence, ou une partie de sa compétence à des tiers : les mandataires du peuple ne doivent pas placer la société politique sous la tutelle d’une puissance étrangère.5- Les personnes détenant le pouvoir de faire les lois ne peuvent pas être celles chargées d’exécuter ces lois, sans quoi elles seraient juges et parties. Ni cumul, ni concentration de pouvoirs entre les mains d’une seule personne. 6- Le pouvoir législatif n’est pas acquis ad vitam aeternam. Sa durée ne saurait dépasser les limites fixées par l’Exécutif qui peut, du reste, le dissoudre.
Et, s’agissant du pouvoir exécutif, quelles limitations John Locke lui impose-t-il ? 1- Eviter tout arbitraire qui consisterait, pour le prince, à ériger sa volonté personnelle en loi. 2-L’Exécutif doit éviter de faire un usage abusif de la force. 3-L’Exécutif doit éviter d’abuser des ressources du Trésor public pour corrompre les représentants du peuple quand il veut les rallier aux fins qu’il poursuit. 4- La mission de l’Exécutif ne doit pas être étendue au-delà de l’autorité à lui conférée par le peuple.
Quant au pouvoir fédératif, il faut dire qu’à l’époque de John Locke le droit international est quasi inexistant ! Les Etats vivent entre eux comme dans l’état de nature.
Que donne donc à constater la relecture africaine de la limitation du pouvoir politique dans l’exercice de l’Exécutif, du Législatif telle qu’elle vient d’être rappelée dans les détails ? Il importe que nous commencions par nous entendre sur l’expression « relecture africaine » utilisée ici par l’auteur. Elle peut s’interpréter comme voulant dire confrontation des principes de la doctrine de John Locke avec une ou des doctrines africaines également théoriques. Ce n’est pas dans ce sens que M. Kombate Damtoti a traité la question. Il l’a traitée comme voulant dire confrontation de la doctrine de John Locke à la pratique politique africaine ; non pas une Afrique du siècle de John Locke, mais une Afrique de la post-colonie ou plus précisément de la période prenant naissance au lendemain de la proclamation des indépendances des États africains. Si, au plan de la pure forme, les Etats africains se sont inspiré des constitutions de tel ou tel pays occidental, comme ce fut le cas pour les pays francophones qui se sont doté de constitutions plus ou moins semblables à la constitution de la Vè république française, on est fondé à affirmer qu’ils se sont d’emblée aligné sur cette tradition occidentale partie de John Locke et approfondie par Montesquieu et Jean-Jacques Rousseau. C’est pourquoi M. Kombate Damtoti écrit en page 73 que  Du point de vue organique, la constitution camerounaise a prévu une séparation des pouvoirs. Cela a pour finalité de limiter le pouvoir politique. A l’instar du Cameroun, poursuit-il, la plupart des pays africains (Le Togo, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Mali, le Gabon…) ont des dispositions constitutionnelles relatives au principe de la séparation et de la limitation du pouvoir politique.
Mais ce n’est justement pas le plan formel des institutions écrites et produites par les instances régulières que sont les parlements et les exécutifs qui a intéressé l’auteur du présent ouvrage dans son quatrième chapitre consacré au contexte africain. C’est plutôt la réalité constatable sur le terrain qu’il confronte aux beaux principes, et au sujet de laquelle il écrit : Dans certains Etats postcoloniaux, le président s’octroie, dans la pratique, un pouvoir illimité. De sa propre initiative il régit toutes les dimensions de la vie du peuple. Souvent, cela se passe contre la volonté de bon nombre de citoyens. Cet état de fait se traduit par la dictature. Le président ou le ‘’souverain’’ réunit dans ses mains, tous les pouvoirs comme le fameux Leviathan de Thomas Hobbes. Le pouvoir judiciaire, législatif et exécutif lui sont entièrement acquis. Il utilise tous les organes du pouvoir pour assouvir son bien-être individuel, celui de sa famille et de ceux qui lui jurent fidélité  (p.74). Point n’est besoin d’examiner le plus ou moins grand respect des limitations du pouvoir politique telles que articulées ci-dessus par secteur. Et l’auteur M. Kombate Damtoti ne l’a pas non plus fait, les cas de non-conformité aux prescriptions doctrinales de John Locke étant bien trop nombreux !
Par contre, la préoccupation qui vient logiquement à l’esprit est celle qui concerne le pendant du principe de limitation du pouvoir politique, à savoir le droit de résistance théorisé aussi par John Locke et auquel M. Kombate Damtoti a consacré une égale attention.
Qu’est-ce qui fonde le droit à la résistance, selon John Locke ? C’est évidemment le non-respect de la limitation du pouvoir. Quelles sont les conditions d’exercice du droit de résistance ? 1- Il faut qu’il y ait eu atteinte aux droits du peuple dans son ensemble ; ce ne doit pas être une affaire individuelle. 2- Le droit de résistance n’est pas exercé contre la personne physique des détenteurs du pouvoir politique ; il est exercé contre le pouvoir politique entendu comme une situation. 3- Ce n’est pas un droit qui fait l’apologie de la guerre, de même, 4- L’exercice du droit de résistance ne doit pas conduire à faire appel à des puissances étrangères pour déposer le prince.
Comme pour l’examen de la plus ou moins correcte mise en œuvre du principe de limitation du pouvoir politique, l’auteur M. Kombate Damtoti ne s’est pas livré à l’examen de la mise en œuvre, point par point, des conditions d’exercice du droit de résistance. Il lui suffisait, et c’est ce qu’il a fait, d’évoquer le sort réservé à diverses tentatives d’exercice de ce droit de résistance :   Une relecture de l’histoire de certains pays africains a montré, écrit-il, que ceux qui ont osé contester ouvertement le pouvoir politique absolu, ont le plus souvent payé de leur sang ou ont pris le chemin de l’exil  (p. 77). Il cite alors les cas des pays tels que le Togo, sous Gnassimbe Eyadema, le Zaïre, sous Mobutu Sese Seko, l’Ouganda, sous Idi Amin Dada, La Guinée Equatoriale, sous Macias, Francisco Nguema, La Guinée Conakry, sous Sekou Toure. Et l’auteur poursuit : Cette réalité politique a contraint bien des citoyens des pays africains à se murer dans le silence torturant et dans la résignation  ( p. 77). Comment ne pas faire intervenir la référence que M. Kombate Damtoti fait à l’ouvrage d’Etienne La Boëtie, un contemporain de John Locke, intitulé «  La servitude volontaire, ou le Contre-Un », et dans lequel La Boëtie affirme que  le ressort du pouvoir tyrannique n’est pas dans la personne qui l’exerce, mais dans ceux qui lui obéissent ».dans le même temps, l’Eglise prônait la doctrine de « l’obéissance passive » , sous la plume du pasteur Benjamin Calamy qui  a effectivement écrit :   Que chacun commence par se soucier de son propre devoir personnel, qui est le sien, dans lequel la Providence de Dieu l’a placé ici-bas(…) et laisser les affaires publiques à ceux qui ont l’autorité et la capacité de les gérer .
            Il est encourageant de constater que la société politique africaine n’est pas allée dans cette direction, non pas seulement dans les pays déjà cités, mais, plus récemment encore, dans les pays tels le Sénégal de la fin du règne du président Wade, le Burkina Faso de la fin du règne de Blaise Compaore où on a vu le droit de résistance faire échec aux tentatives d’abus de pouvoir qui étaient mises en marche.
            Les nombreuses expériences de coups d’état militaires enregistrés dans les pays africains pendant les décennies soixante et soixante-dix (mil neuf cent) ne sont pas à inscrire dans le registre de la mise en application du droit de résistance. Bien au contraire, ils s’inscrivent dans la logique de la conception que la tradition africaine se fait du statut du chef. Selon notre auteur, Mobutu Sese Seko promoteur de la défense de ‘’l’authenticité africaine’’ aurait eu à affirmer que ‘’le respect du chef est quelque chose de sacré…ne vous imaginez pas que parce que nous avons été colonisés par les occidentaux, nous sommes devenus des occidentaux. Nous demeurons des Bantous. Le respect du chef est obligatoire et sacré. Quand un chef décide, alors il décide, un point c’est tout. De la discipline militaire, en quelque sorte. Un prétexte donnant bonne conscience aux militaires putshistes !
            M. Kombate Damtoti invoque d’autres causes pour expliquer le refus par les dirigeants africains de respecter le principe de la limitation du pouvoir politique, telles que la crainte d’être chassé du pouvoir (en réalité la crainte des représailles une fois hors du pouvoir), l’ethnicisation du pouvoir et ses dérives en favoritisme et népotisme, l’expérience des régimes communistes qui a été tentée dans certains pays ! Mais en réalité, il s’agirait là de causes moins profondes que ne l’est, à notre avis, l’hyperbolisation de l’autorité du père de famille par laquelle s’expliquerait la tendance en Afrique à faire du chef de l’Etat et de l’appeler « le père de la nation ». Et quand on est un père, on ne l’est pas par voie élective ; on l’est par la voie d’une nature intangible. Ne retrouverait-on pas ici une Afrique que M. Kombate Damtoti a raison de confronter à l’Europe du siècle de John Locke marquée par la domination d’un pouvoir personnel, monarchique et absolu ? Comme l’Europe est sortie de cette période, il reste à  l’Afrique de s’aider elle-même à en sortir à son tour. Remercions M. Kombate Damtoti d’y  contribuer, en attirant l’attention de tous sur la pensée de l’un des fondateurs de la démocratie.

                                                              

 

                                                        E. NJOH-MOUELLE
                                                    

 

 

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